« Je suis un
voyageur que le langage invente »
Claude Beausoleil, poème
extrait de L'urgence des mémoires, Wigwam, 2004.
Claude Beausoleil, Grand Hôtel des étrangers,
Les Écrits des Forges / Le Temps des cerises,
1988
Victime d'un cancer
foudroyant, le poète Claude Beausoleil est décédé le 24 juillet à
Montréal, ville où il était né en 1948. C'est l'une des voix les
plus reconnues de la poésie québecoise contemporaine qui disparaît. L'homme était
chaleureux, toujours disponible, doté d'une incroyable énergie. Il
ne s'arrêtait jamais. Toujours en mouvement, menant
plusieurs projets de front, il écrivait beaucoup, se déplaçait
tout autant et œuvrait pour donner la parole aux autres, grâce,
notamment, à la revue Lèvres urbaines qu'il a fondée en 1983.
Érudit et passionné, il s'aventurait là où il sentait la vie
vibrer, dans les rues animées des villes
cosmopolites, dans la prose effrénée et fascinante de Jack Kerouac,
dans les méandres de la poésie mexicaine, dans la voix et le phrasé si particulier de Billie Holiday et dans de nombreux autres territoires qu'il arpentait de long en large.
C'est par son livre
D'autres sourires de stars (Le Castor Astral) que je l'ai
découvert en 1984. Ce fut un vrai coup de cœur. Une belle surprise.
Son lyrisme chaud, entrecoupé d'évidences et de brusques moments de
panique m'ouvrait à une écriture que je n'avais jamais rencontré
auparavant. Il semblait traverser de grands espaces urbains, roulant
vite, vitres ouvertes, sur un axe Montréal-Hollywood. Le tempo de son poème était saccadé. Il s'en servait pour dérouler une sorte
de journal improvisé dans lequel Marilyn Monroe réapparaissait en
pleine lumière, entre deux pannes électriques. Nul ne le savait,
mais lui en était sûr. Depuis 1962, « elle écrivait en
secret des scénarios parallèles dans le cabinet particulier de
Fédor Dostoïevski ».
Ensuite, de nombreux
autres livres ont suivi, en France chez le même éditeur et surtout
au Québec aux éditions Écrits des Forges. Leurs titres sont on ne peut plus évocateurs : Il y a des nuits que nous habitons tous, Grand Hôtel des étrangers, La ville aux yeux d'hiver, Rue du jour, Le chant du voyageur, Black Billie, Amérikerouac... Tous sont traversés par une multitude de visions. Tous incitent au voyage ou à la flânerie, aux longues déambulations dans les rues, ruelles, venelles ou ailleurs, partout où les regards, les silhouettes qui s'effilent, les façades et leurs multiples fenêtres gardeuses de secrets, les enseignes lumineuses, les reflets des phares de voitures au ras du bitume lui parlent et l'invitent à noter ces instantanés de vies en y gravant ses vers, leur sonorité, leur lyrisme, leur densité et leur rythme.
J'ai eu, pour ma part,
plaisir à le rencontrer çà et là, notamment place Saint-Sulpice, lors du Marché de la poésie, à côtoyer un être d'une
extrême gentillesse et à le publier dans la revue Foldaan ainsi que
dans la collection Wigwam où il m'avait spontanément offert
L'Urgence des mémoires dont est extrait,
ci-dessous, le poème Les immeubles de nuit.
À Jean-Yves Reuzeau et
Patrice Delbourg
« J'ai soif de
villes de France et d'Europe et du monde
Venez toutes couler
dans ma gorge profonde »
Guillaume Apollinaire
"du pont la ville brille
dans la nuit
des immeubles veillent
incrédules
enfumés
il y a des réserves
lumineuses décuplées
autour d'échafaudages en
miroirs
une île récite un chant
la neige l'ensorcelle
vivace Amer esperanto
autour des bars des
formes circulent
spectres motorisés
illusions machines
le métal en vrac
désordonne le réel
d'une ville surgie du
froid des voix murmurent
inquiètes leurs accords
avec le brouillard
dictent la suite en des
graphies informelles
un poème psalmodie le
récit
le temps veille tenace
maintenant la douleur
envahit le matin
d'abord la tête puis
l'absolu
le fleuve bleu acier
tranche les rumeurs célestes
par les reflets d'une
urgence mnémonique
de passage des poètes
s'entêtent librement
mot à mot à créer
l'énergie de l'errance
la nuit retrouve les
spirales de l'ailleurs"
On peut retrouver Claude
Beausoleil sur le site de ses éditeurs. Ici Les Écrits des Forges,
là Le Castor Astral.
Lire également l'article
qui lui a été consacré dans le quotidien québecois Le Devoir, le
27 juillet 2020.
Photo : Édouard Plante-Fréchette
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire