dimanche 7 août 2022

Jouissance

Voici un livre qui parle. Un roman doué de parole qui raconte sa vie à la première personne et qui a beaucoup à dire. Il a tout connu : l’abandon, l’errance, la déchéance, la poussière, la pluie, la cave, le garage, les toilettes, les poubelles, la peur du feu, les mains sales et bien d’autres désagréments. En devenant narrateur, il espère trouver de nouveaux lecteurs et leur demande, par avance, de poser un regard bienveillant sur son parcours de clochard littéraire.

« et ne cherchez pas en moi si vous ne voulez rien entendre de ce fâcheux périple où je suis passé d’une main à une autre, amoché et sale, avili, presque toujours sans compassion, maltraité par des lecteurs piteux, comme si j’étais une coureuse de remparts, moi, livre abandonné, clochard perdu, comme un vaurien renié partout et par tout le monde, comme un paria insulté par-ci et craché par-là »

Son corps d’encre et de papier, rudement bringuebalé, a été le témoin involontaire de choses intimes et secrètes. Elles se sont accrochées à sa mémoire. Elles pèsent lourd. Il lui faut s’en délester. Dire à ceux qui voudront bien l’écouter qu’il a assisté à une scène d’amour torride en bibliothèque, qu’il a vu un homme riche se faire arnaquer à cause d’un préservatif usagé, qu’il a eu connaissance de la vente d’une orpheline et de l’enlèvement par un prédateur sexuel d’une petite fille qui aimait lire.

Si le destin lui a offert, en plus de la parole, le pouvoir de voir, de sentir, d’entendre battre les cœurs, de reconnaître le timbre des voix et de se repérer dans le paysage, s’il a fait de lui, chose rare et unique pour un livre, un être à la sensibilité exacerbée, il lui arrive pourtant de regretter de n’être qu’un spectateur, incapable d’intervenir, contraint d’assister à de redoutables scènes.

« je vais aller droit au but, je demeure un pauvre verbe fiévreux, sans domicile, à respiration stertoreuse, un petit voyou qui, dans sa misérable petite vie de vagabond, de va-nu-pieds, de moulin à paroles, se sait traqué régulièrement comme un gibier de pages »

Ce livre de belle et souple éloquence, qui s’exprime avec verve, en un débit ininterrompu, est celui d’un conteur résolu à dérouler le ruban de sa vie en compagnie des différents personnages qui ont, à un moment ou à un autre, considéré qu’il leur appartenait. Force est de constater qu’il n’a pas été gâté. Ces hommes et ces femmes qui l’ont précédemment touché avec leurs mains plutôt qu’avec leurs yeux circulent entre ses lignes, se heurtent, perdent la tête, s’égarent, s’affrontent et vont bientôt finir par se rejoindre, dévoilant ainsi la subtile toile d’araignée que tisse minutieusement Ali Zamir qui, avec ce roman, son quatrième, quitte les Comores pour d’autres territoires.

Le fin mot de l’histoire – construite à la manière d’un feuilleton dont chaque épisode (chaque chapitre) est attendu avec impatience – se trouve dans les pages de Jouissance, livre joueur, intriguant, généreux, malicieux, intemporel. Livre qui donne la part belle aux lecteurs et à la littérature.

 Ali Zamir : Jouissance, Éditions Le Tripode.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire