jeudi 12 octobre 2023

La troisième voix

Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut entretiennent depuis de nombreuses années une correspondance assidue. Celle-ci leur a déjà permis d’écrire un livre, dans lequel le second intervenait à partir des photographies de la première. Cette fois, leur démarche est différente. Ils ont pris l’habitude de glisser, chacun leur tour et quand ils en éprouvaient l’envie, un poème dans l’enveloppe, se répondant, ou plutôt dialoguant ainsi, à partir d’un mot (le mot « neige » par exemple), d’un choix de voyelles, de consonnes ou d’initiales, du lieu où ils habitent, des couleurs du ciel au bord de la Seine ou à proximité du littoral, du climat, des mois, des saisons, du paysage (faune, flore, terre, craie, rocaille, etc) et de cet étrange (attendu et recherché) « état de poésie », si cher à Georges Haldas, qui les surprend à certains moments du jour. Ce sont les poèmes issus de ces allers-retours par voie postale qui sont ici rassemblés

« Nous savons que les heures s’effacent,
nous seuls pouvons disperser
les lettres des noms.

La craie sur le tableau du jour
couvre blanc l’horizon, novembre
approche ses légions pâles.

À Dunkerque, tu avances
les signes d’un pays
silencieux.

Ici, d’un bord à l’autre,
dès que s’ouvre le poème,
l’adverbe réduit le mot distance. »

Il leur faut beaucoup de complicité et une belle amitié pour parvenir à accorder leurs voix afin d’en créer une troisième. Le lecteur, porté par la teneur, la densité, la délicatesse et la générosité des correspondances, oublie peu à peu qui écrit quoi. Les poèmes viennent, se répondent, se nourrissent les uns les autres et la magie opère, générant un dialogue fécond.

« Souvent nous retournons le livre
sans avoir atteint le bas d’une page,
nous nous cachons la face avec les paumes
et nous fixons l’écran intime, peu à peu,
translucide, et nous continuons de lire.
C’est ainsi que la vue se régénère
dans un ciel rayonnant d’étoiles. »

Pour finir,, tous deux reviennent sur l’échange des poèmes et sur ce lent cheminement qui leur a permis de donner sa tonalité à La troisième voix.

« La contingence temporelle, devenue notre alliée, nous a offert un nouveau territoire, une nuit peut-être pour que les mots l’habitent » (Isabelle Lévesque)

« Comprendre, c’est se surprendre, ce n’est pas se contenter de faire écho, c’est accroître. » (Pierre Dhainaut)

 Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut : La troisième voix, peinture de Fabrice Rebeyrolle, éditions L'herbe qui tremble.

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