Le village s’étale entre landes, éboulis, herbes rases, murs de pierres
sèches et arbres rabougris. Un vent fou le traverse parfois. Il vient
chauffer ou glacer les sangs des rares qui résident en ces terres de
Haute-Provence. Farigoule Bastard est l’un d’entre eux. Berger, il vit
seul là-haut, la plupart du temps dehors, se déplaçant au gré de ses
bêtes.
« Il possède des moutons mais c’est une activité qui périclite.
Lui-même vieillit dans un village minuscule, où l’on compte moins
d’habitants que de doigts chez un homme normalement constitué, village
en proie à une double impéritie : l’exode qui a frappé durablement la
région, et l’arrivée de résidents secondaires, qui aiment les paysages
de lavande et le soleil à mi-temps. »
La monotonie de son existence est brutalement rompue le jour où
Farigoule Bastard reçoit – de la main de son ami le facteur Picris –
une invitation à participer au vernissage d’une exposition qui lui est
consacrée (il se demande bien pourquoi) dans une lointaine capitale,
très précisément à Paris. Il décide de s’y rendre. Se prépare. Aiguise
ses lames. Confectionne son bagage. Apprête la mule puisque c’est sur
son dos qu’il va devoir chalouper, par monts et par vaux, pour atteindre
une gare. Quelque part, au même moment, dans la contrée dépeuplée, son
père, Farigoule lui aussi, semble sur le point de mourir. Cela ne
l’arrête pas. Il lui faut suivre son instinct. « Lacer son destin ». Et
en profiter pour concocter quelques haltes. Qui l’aideront à réarmer sa
mémoire en revoyant les deux femmes (Celle et la Vieille) qui ont
compté dans sa vie.
« La pluie ne cesse pas, et il reste encore quelques encablures avant
la Vieille. L’humain est encore loin. Comme les montagnes deviennent
derrière, deviennent hier, et qu’on aborde ce qu’on appelle crau, les
activités se raisonnent.. »
Pendant que Farigoule Bastard s’éloigne, ses proches, restés au
village, commentent son absence. Peu à peu, deux histoires parallèles et
complémentaires se mettent en place. Il y a d’une part le cheminement
de celui qui continue d’avancer vers la capitale et de l’autre les
hypothèses qui commencent à circuler quant à son départ. La langue
employée par Benoît Vincent pour donner vie aux différents cycles de
« la geste de Farigoule Bastard » épouse la rugosité et l’éclat des
paysages évoqués. Il adopte, pour cela, un lexique local âpre et
judicieusement revisité qui ancre bien le récit dans ces lieux souvent
désertés par l’homme, là où la parole, quand elle advient, sait se
montrer tout aussi économe que précise. L’’histoire évolue, par
saccades, au fil des pages. Elle change volontiers de narrateur. Déroule
ses aléas, ses imprévus. Et multiplie les points de vue en faisant, au
bout du conte, entrer Farigoule Bastard dans la légende.
« Vendredi, celui-là, Farigoule Bastard n’était pas descendu au marché. Là où il se gare d’habitude, il y avait un vide.
Certains ont à peine tiqué.
D’autres ont plaisanté / certains ont craint. »
Benoît Vincent : Farigoule Bastard, Le Nouvel Attila.
On retrouve Benoît Vincent évoquant Farigoule Bastard en trois temps ici même.
Certains ont à peine tiqué.
D’autres ont plaisanté / certains ont craint. »
Benoît Vincent : Farigoule Bastard, Le Nouvel Attila.
On retrouve Benoît Vincent évoquant Farigoule Bastard en trois temps ici même.