On dit de lui qu’il est le nerf de la guerre. Pour lui, on peut trimer,
se vendre, tricher, trahir, voler, mendier, spéculer, licencier,
mourir, tuer, etc. Lui, c’est l’argent, invisible, liquide et inodore,
qui dicte à peu près toujours sa loi en modifiant aisément nombre de
comportements. Isabelle Flaten le place au centre de son livre et
montre, à travers une série de portraits et de mises en situation, les
rapports particuliers que ses différents personnages entretiennent avec
celui qui mène tout ce petit monde à la baguette.
« Depuis bien longtemps elle a compris qu’avec ou sans le sou ce
n’était pas pareil, et elle a choisi d’être du bon côté des choses, là
où tout va de soi ; il suffit d’allonger les billets et plus personne ne
bouge, le souffle suspendu au froissement du papier vers le plaisir. »
Chacun des protagonistes de ce roman-gigogne est suivi sur un laps
de temps assez court et en un épisode très significatif pour qu’on
puisse déceler sa personnalité, percevoir son statut social et connaître
la réaction qu’il adopte face à cet argent qu’il a, n’a pas, ou n’a
plus. Quand un personnage disparaît, c’est après avoir été mis en
relation plus ou moins fortuite avec un (ou une) autre qui va lui
succéder, et ainsi de suite. Tous sont anonymes et certains (qui
s’étaient éclipsés) réapparaissent parfois au détour d’une page. La
plupart d’entre eux s’avèrent un rien déboussolés, perdus dans leur
solitude, barrant comme ils peuvent, en cabotage intérieur, une
existence en morceaux que l’argent ne peut pas vraiment réparer.
« Elle se met à rêver d’une vie où un sou serait un sou, et elle
emportée dans la foule des sombres silhouettes qui à peine sorties de
leur nuit écrasent le macadam pour aller gagner leur croûte d’un pas de
plomb. Elle se voit déjà parmi eux, corsetée de partout, sans même
l’espace d’une respiration, aspirée toute entière dans le grand
tourbillon de la nécessité. »
Le sens de l’observation très aiguisé d’Isabelle Flaten
est imparable. Rien ne lui échappe. Son écriture est fluide, dynamique
et extrêmement visuelle. Elle vise au cœur de la cible en une succession
de tableaux vifs, cruels et réalistes où banquière, clochard, joueur
de poker, bourgeoise frivole et voleuse à la tire (pour n’en citer que
quelques uns) tentent de colmater les brèches de vies qui toutes,
semble-t-il, avec ou sans argent, prennent l’eau.
Isabelle Flaten : Chagrins d’argent, éditions Le Réalgar.
Isabelle Flaten vient de publier Lettre ouverte à un vieux crétin incapable d'écraser une limace, chez le même éditeur.
Isabelle Flaten : Chagrins d’argent, éditions Le Réalgar.
Isabelle Flaten vient de publier Lettre ouverte à un vieux crétin incapable d'écraser une limace, chez le même éditeur.