Il ouvre les fenêtres, laisse entrer les vents dominants, happe au passage des morceaux d’embruns, mâche un peu d’écume, respire l’air du large à pleins poumons et parvient à faire entrer – par une étrange alchimie qui relie les mots et leur sonorité – le lancinant ressac et le bleu-gris (ou le vert bouteille) de l’océan au cœur de ses poèmes.
« énorme ventru vif
bouillon l’océan bouge
fracasse et flue follement
sous le ciel de traîne et de soufre »
bouillon l’océan bouge
fracasse et flue follement
sous le ciel de traîne et de soufre »
Cela ne l’empêche évidemment pas de lâcher la ligne d’horizon pour
regarder derrière lui, du côté des terres noires, des chemins boueux,
des arbres emplis de pluie. Il note ce qu’il voit et ce qu’il ressent.
Et ce qui remue aussi. Tout a l’air d’aller à peu près bien. Les
couleurs jouent entre elles. La lumière évite les angles morts.
L’ordinaire suit son cours. Ici, perdue au bout du monde, « une vache
pisse dans le brouillard », là « un chien gueule au ciel », ailleurs
« un serpent se remord la queue ».
Henri Droguet
n’en demande pas plus. Il manie l’infime et continue de capter, de
livre en livre, quelques uns des soubresauts d’un monde où les hommes
(mais le savent-ils seulement ?) ne font que subrepticement partie du
paysage. Il relie celui-ci au corps et à la langue en une mécanique
qu’il ne veut surtout pas voir tourner rond. Alors elle s’emballe,
grince, ronfle, déraille, gémit, avale des séries d’allitérations et se
nourrit « d’ombres de tourbillons et de mauvais songes ».
Le lire, c’est se laisser porter, emporter par ce rythme à la fois
soutenu et saccadé qui lui appartient, qui charrie des brassées
d’intempéries qui lui fouettent le sang, vont du ciel à l’âme en
cognant sur la peau dure d’un globe terrestre qui en a vu d’autres.
Henri Droguet : Palimpsestes & rigodons, éditions Potentille.
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