Guy Benoit, dont le premier ensemble, Interminable sang, a été publié en 1968 chez Millas-Martin est de ces poètes inclassables et irréguliers (où se retrouvent quelques uns de ses amis disparus tels Paul Valet, Théo Lésoualc’h, Serge Sautreau) qui suivent une route étroite, secrète, peu fréquentée, qu’ils ont âprement défrichée et balisée. Il œuvre à l’ombre et à l’écart. C’est là qu’il construit des livres rares et exigeants où la mort, imprévisible, tapie dans un terrier ou arpentant les bois et les terres, veille en se montrant étonnamment vivante. Il y a des années qu’il se prépare à l’accueillir.
« je m’attends au tournant
et à l’intense finitude
des gens sur terre
la seule chose
confondue
confondue
à nos sueurs froides »
Cette mort qu’il questionne lui est familière. Elle l’accompagne.
Invisible, elle conquiert un territoire intérieur tout en se promenant
en extérieur. Il arrive qu’elle se libère, qu’elle aille prendre l’air
tout en restant présente en lui grâce aux ondes, aux connections et aux
pensées qu’elle génère. Elle bouge et émiette un peu de cette matière du
corps qui, bien que vivant, se désagrège, se transforme, devient
poussière avant l’heure en se mêlant aux ronces, aux herbes et aux
arbres. Elle peut même offrir, à défaut de cendres, les traits d’un
visage en reflet aux eaux de l’Anxure, cette rivière qui coule en
Mayenne et qui donne son titre au livre.
« J’anticipe
autour d’un paysage
autour d’un paysage
faiblement lettré
comme le sang dans les veines
nous donnerait une bonne raison »
La mort (jamais macabre, plutôt conciliante) n’est pas la seule à
rendre régulièrement visite à Guy Benoit. La nuit tape également au
carreau et se fraie volontiers un chemin dans ses poèmes. Elle est
claire, presque brumeuse, scintillante d’étoiles, porteuse de nouvelles
du cosmos, habitée par le hululement de la chouette, glissant parfois
ses feux follets sous les paupières lourdes du dormeur, devenant souvent
le terrain de jeu favori de la camarde.
« nos sommeils
ne somnolent qu’à moitié
ne somnolent qu’à moitié
d’une proche parole
dans le plus pur style
d’une mort annoncée »
d’une mort annoncée »
Il se tient constamment sur le qui-vive. Guette les sautes d’humeurs
de celle qui rôde (« sous un ciel noyé / de reflets d’ardoises, ma mort /
se prépare à mourir »). Capte ses avancées dans la pénombre. Ou dans
des rais de lumière. Il sait qu’elle a des millénaires d’existence
derrière elle et qu’il ne peut l’évoquer qu’à mots pesés, avec
brièveté, en vers coupants, en ajustant sa pensée au monde végétal qui
l’entoure et à la fragilité des vies éphémères qui participent à la
« parade des planètes / de chaque côté du souffle ».
Guy Benoit : L’anxure suivi de Exercices de guerre lasse, Pas tout à la fin et La salle du bout, préface de Jean-Claude Leroy, gravures de Maya Mémin, éditionsLes Hauts-Fonds.