Herbert est écrivain. Il est attaché à la fiction des mots. Il aime les
coucher sur le papier. Il croit en leur pouvoir. Il lui arrive de penser
que « dire c’est faire ». Et qu’écrire, décrire des scènes imaginaires
équivaut parfois à les vivre. C’est d’ailleurs un peu ce qui se passe
en ce moment dans sa vie. Et c’est ce qu’il raconte.
Tout a commencé par une rencontre banale, bien que fictive, entre
lui, Herbert, 45 ans, écrivain et prof, et Coline, même âge, lectrice et
prof aussi. Huit cents kilomètres les séparent mais grâce à Facebook,
le monde parallèle où ils se sont « connus », on peut voyager en
instantané ou presque. Un simple clic leur permet d’être présents l’un à
l’autre.
« C’est comme ça que ça commence : on devient amis, et puis à l’occasion on échange deux ou trois mots, guère plus. »
Mais avec Coline, ça ne se déroule pas ainsi. Très vite, elle enlève
le haut. Et bientôt le bas, l’incitant à faire de même. Il hésite et
finit par s’exécuter. Leurs échanges sont de plus en plus suggestifs et
sexuels. Les mots se libèrent. Et les courtes vidéos aussi, où chacun
s’offre au regard de l’autre. L’écran est leur récréation. C’est là
qu’ils vont jouer dès qu’ils quittent la vraie vie. Leurs doubles
virtuels y prennent du bon temps. Y glanent plus qu’un supplément d’âme.
Mariés, père et mère de famille, ils se cachent, retournent en
pré-adolescence et deviennent, il faut bien l’avouer, un peu mabouls.
Le pouvoir des mots les rattrape forcément très vite. C’est celui-ci
que Philippe Annocque ausculte une fois de plus. Il s’attache à la
mécanique du dédoublement, à l’identité troublée et à la situation
scabreuse de ses personnages. Il ne les ménage pas vraiment. Les montre
peu stables. En train de perdre certains repères. Alternant le chaud et
le froid. Devenant susceptibles. Se blessant mutuellement.
« C’était drôle et triste, ce père de famille quadragénaire qui
courait sous la pluie parce qu’une femme qu’il n’avait jamais vue ne
voulait plus lui écrire. Il n’aurait jamais cru ça de lui. Comme si un
autre que lui courait. »
Seule la nuit tombe dans ses bras est un livre étrange et
inquiétant. C’est évidemment voulu. Philippe Annocque, pour y parvenir,
met en place un dispositif particulièrement malin. On le sent rusé,
prompt à manier l’ironie, à parodier le roman d’amour, à percer
l’identité bancale de cet homme et de cette femme apparemment heureux
mais qui n’en restent pas moins accrochés, dans la grande nuit
numérique, à cet écran bleuté dont ils ne peuvent plus se séparer et qui
s’agite frénétiquement en se zébrant de mots bien réels.
Philippe Annocque : Seule la nuit tombe dans ses bras, Quidam éditeur.
Toujours ce talent chez Jacques Josse de vous faire vivre la scène, à vous donner envie de lire le livre.
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