lundi 19 novembre 2018

Seule la nuit tombe dans ses bras

Herbert est écrivain. Il est attaché à la fiction des mots. Il aime les coucher sur le papier. Il croit en leur pouvoir. Il lui arrive de penser que « dire c’est faire ». Et qu’écrire, décrire des scènes imaginaires équivaut parfois à les vivre. C’est d’ailleurs un peu ce qui se passe en ce moment dans sa vie. Et c’est ce qu’il raconte.

Tout a commencé par une rencontre banale, bien que fictive, entre lui, Herbert, 45 ans, écrivain et prof, et Coline, même âge, lectrice et prof aussi. Huit cents kilomètres les séparent mais grâce à Facebook, le monde parallèle où ils se sont « connus », on peut voyager en instantané ou presque. Un simple clic leur permet d’être présents l’un à l’autre.

« C’est comme ça que ça commence : on devient amis, et puis à l’occasion on échange deux ou trois mots, guère plus. »

Mais avec Coline, ça ne se déroule pas ainsi. Très vite, elle enlève le haut. Et bientôt le bas, l’incitant à faire de même. Il hésite et finit par s’exécuter. Leurs échanges sont de plus en plus suggestifs et sexuels. Les mots se libèrent. Et les courtes vidéos aussi, où chacun s’offre au regard de l’autre. L’écran est leur récréation. C’est là qu’ils vont jouer dès qu’ils quittent la vraie vie. Leurs doubles virtuels y prennent du bon temps. Y glanent plus qu’un supplément d’âme. Mariés, père et mère de famille, ils se cachent, retournent en pré-adolescence et deviennent, il faut bien l’avouer, un peu mabouls.

Le pouvoir des mots les rattrape forcément très vite. C’est celui-ci que Philippe Annocque ausculte une fois de plus. Il s’attache à la mécanique du dédoublement, à l’identité troublée et à la situation scabreuse de ses personnages. Il ne les ménage pas vraiment. Les montre peu stables. En train de perdre certains repères. Alternant le chaud et le froid. Devenant susceptibles. Se blessant mutuellement.

« C’était drôle et triste, ce père de famille quadragénaire qui courait sous la pluie parce qu’une femme qu’il n’avait jamais vue ne voulait plus lui écrire. Il n’aurait jamais cru ça de lui. Comme si un autre que lui courait. »

Seule la nuit tombe dans ses bras est un livre étrange et inquiétant. C’est évidemment voulu. Philippe Annocque, pour y parvenir, met en place un dispositif particulièrement malin. On le sent rusé, prompt à manier l’ironie, à parodier le roman d’amour, à percer l’identité bancale de cet homme et de cette femme apparemment heureux mais qui n’en restent pas moins accrochés, dans la grande nuit numérique, à cet écran bleuté dont ils ne peuvent plus se séparer et qui s’agite frénétiquement en se zébrant de mots bien réels.

Philippe Annocque : Seule la nuit tombe dans ses bras, Quidam éditeur.

1 commentaire:

  1. Toujours ce talent chez Jacques Josse de vous faire vivre la scène, à vous donner envie de lire le livre.

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