Après un voyage en Alaska, qui était
au centre de son précédent recueil, c’est au Japon que se rend
Jean-Claude Caër. Il y va, dit-il, pour retrouver « le visage
de sa mère », décédée peu avant. Il sait que sa perception
des choses se modifiera là-bas, loin de Montmartre (où il vit) et
de la Bretagne (où il est né) et que son séjour au pays du
Soleil-Levant sera tout aussi intérieur que géographique. Cela
n’est toutefois possible qu’à condition d’être réceptif aux
autres, à leur histoire, à leurs morts, à leurs rites, à leurs
paysages. C’est évidemment son cas. Le voyage, il l’a commencé
bien avant son départ.
« Reverrai-je au printemps le visage de ma mère
Sous les
pétales de fleurs de cerisiers
Jonchant les allées du parc
d’Ueno ?
À cette pensée, mon cœur se serre. »
Sur place, de Tokyo à Kyoto puis dans le nord, à Sapporo ou sur
l’île de Hokkaidô, sa curiosité est en émoi. Il préfère
néanmoins le calme à l’agitation. Ne se laisse pas griser. Garde
assez de recul pour bien appréhender ce qui se passe autour de lui.
Les scènes saisies sont reconstituées en poèmes parfois brefs.
« Je dîne seul dans une pièce un peu triste
Assis sur
les nattes
Entouré d’oies sauvages
Vaguement peintes, à
demi effacées,
Sur des panneaux qu’on a tirés.
On me laisse
seul devant trois plateaux en laque posés sur le sol
En
tête-à-tête avec moi-même. »
Il évoque fréquemment les poètes, écrivains et cinéastes qui
l’ont aidé, avant qu’il n’y pose les pieds, à s’imprégner
de ce territoire tout en contraste. Il note ce qu’il doit à
Kurosawa, à Ozu, à Sôseki, à Bashô et à d’autres encore. Il
va se recueillir sur de nombreuses tombes. C’est aussi pour cela
qu’il a entrepris ce voyage. Pour se rapprocher de ceux qui sont,
désormais, devenus cendres et poussière mais qui ont su,
auparavant, offrir à qui le voulait, un savoir qui se transmet
toujours, de génération en génération.
« Je regarde ces milliers de tombes
Là dressées sous la
lune
Et les lettres japonaises gravées, les noms bouddhiques
mêlés
Parfois aux lettres sanskrites.
Je ne sais qui je suis,
ce que je fais là dans l’obscurité
Marchant parmi les stûpas,
les mausolées.
Seulement un décor sublime
Où les corps
souvent ne sont pas enterrés.
Un décor qui raconte
Le
pauvre cœur des hommes comme disait Natsume Sôseki. »
Chemin faisant, s’arrêtant dans un monastère, mangeant « du
crabe de Hokkaidô » dans un restaurant, participant à la
cérémonie du thé, regardant le paysage ou la rue à la fenêtre de
l’une ou l’autre de ses chambres d’hôtel, se promenant près
d’un temple, « sur le Chemin de la philosophie »,
ou suivant le vol de l’un de ces oiseaux qui attirent son
attention, il note ce qu’il voit, ce qui vit, ce qui bouge dans
l’instant. Ce sont des faits ordinaires, décrits avec tact et
concision dans ses poèmes. Certains, très courts, ne sont pas sans
rappeler les haïkus. Il s’adresse régulièrement à sa mère. Lui
parle des lieux où il se trouve, sa dernière escale étant pour
l’extrême nord de l’île, devant la mer d’Okhotsk.
« Mère,
La mer d’Okhotsk est grise
La musique tiède
de l’hôtel m’étourdit
Ma main a gonflé cette nuit.
Mère,
J’ai traversé des cercles de douleur
L’écriture
et la vue de la mer me calment. »
Il est des livres dont on sort apaisé. Celui-ci, dans lequel,
pourtant, « la douleur est présente », en fait partie.