Belle initiative des éditions Tarabuste qui réunissent en un seul volume
trois livres « marocains » de James Sacré. Tous ont été publiés
auparavant par André Dimanche : Une fin d’après-midi à Marrakech (1988), Viens, dit quelqu’un (1996) et Un paradis de poussières
(2007). Ces trois livres sont écrits dans la compagnie d’une même
personne, son ami Jillali Echarradi, peintre avec lequel il a souvent
collaboré. Beaucoup de ces poèmes lui sont adressés.
« J’aimerais écrire des poèmes très figuratifs
Qu’on verrait dedans sans pouvoir se tromper
La couleur de Marrakech par exemple avec au loin la Koutoubia
Elle permet qu’on s’oriente en parcourant la ville et la campagne environnante.
À une terrasse de café on aperçoit, fugitivement, mais de façon précise
Ton visage inquiet qui va sourire
Après justement qu’on aura marché, beaucoup de silence et des paroles qui préparent à des gestes vrais,
La légèreté du soir et du monde à Marrakech. »
Au Maroc, à Marrakech mais aussi à Sidi Slimane, à Kénifra ou dans
de plus petites bourgades, près des étals des marchands de menthe, de
figues, d’escargots, ou au café, dans des campagnes à vocation agricole
ou sur les routes où circulent les camions qui sillonnent le Magreb,
James Sacré va à la rencontre, note, écrit dans la proximité des autres,
amis peintres, écrivains ou anonymes, dans un décor changeant au gré
des nuances et des variations de couleurs, guettant les gestes les plus
infimes de ceux, de celles qui l’entourent. Il ressent une sorte de
bonheur à se trouver là, au milieu de gens si naturellement vivants,
découvrant leurs lieux, leurs rites, leurs méthodes de travail tout en
se découvrant parfois lui-même, surpris de retrouver dans ce pays des
façons de vivre (de peu) qui ressemblent à celles qu’il a connu durant
son enfance et sa jeunesse en Vendée.
« Je retrouvais dans ce pays des chemins
qu’on a détruit dans le mien
Bientôt personne qui s’en souvient. »
Rien ne paraît pouvoir lui échapper (des détails, par dizaines, qui
s’offrent à lui) tant on le sent curieux, attentif, disponible, prêt à
s’abandonner. Son poème débute dans la présence des autres, qui le font
vibrer et dont il ressent les soubresauts du corps jusque dans le sien.
Il avance en donnant à son texte – dont on a l’impression, agréable,
qu’il s’écrit sous nos yeux – un rythme posé, une continuité qui
privilégie les sinuosités, un peu comme s’il avait besoin de bifurquer,
de corriger un brouillon ou de revenir sur ses pas pour préciser sa
pensée, pour ajouter des éléments à la séquence qu’il est en train de
construire.
« Poème qui s’en va, de passage,
Entre le monde et le bruit des mots.
On s’invente un désert en parlant parce qu’on oublie
Qu’on est au paradis.
Je suis là que de passage, un pied
Dans le vivant, l’autre pris
dans le bruit du vivant. »
Il voit, surprend telle attitude, tel geste, tel sourire ou regard,
sort parfois son appareil photo pour mémoriser un instant, pour le faire
bouger ensuite dans son poème. Toute la vie simple, habituelle,
silencieuse ou tumultueuse qui bruisse autour de lui l’attire.
« Je voudrais m’en aller dans un poème
Pour être comme à côté du corps
De quelqu’un d’autre, un corps
Où la parole ne trahit pas le silence.
Mais le poème est trop de ruse et rien
Qu’on pourrait caresser. »
Ce volume (de 360 pages) est plein de paysages, de mouvements, de
haltes, de moments de vie, de partages, d’amitié, de recueillement dans
certains cimetières, de gestes, de visites, de dons, d’offrandes, de
retenue, de découvertes et c’est son auteur qui en parle le mieux :
« Ces livres sont des gestes d’écriture, qui ne veulent rien
expliquer, qui veulent seulement rencontrer, et continuer de s’étonner
(heureusement ou pas), de découvrir et de se découvrir dans la compagnie
de l’autre, qui est l’hôte, ce mot qui met superbement ensemble l’autre
et le même. »
James Sacré : Une fin d'après-midi continuée, postface de Serge Martin, éditions Tarabuste.