« Le pli, la traverse, la délicatesse, la finesse. Voilà, tout cela, c’est vous, tel que je vous vois si vivant, si malicieux, si heureux de porter votre triomphant désespoir. J’ai pensé à vous chaque jour depuis votre mort. »
Hervé Carn revient sur les cinq années durant lesquelles il côtoya Georges Perros. À Douarnenez, pour la rencontre initiale, à Quimper, à Brest, à Rosporden, à la Pointe du Raz ou à Paris, à l’hôpital Laënnec où s’est éteint celui qui, né dans le quartier des Batignolles ("Ici naquit Georges Machin / qui pendant sa vie ne fut rien / et qui continue"), s’était épris des ciels changeants et tourmentés d’une ville de bord de mer peuplée d’êtres taciturnes qui lui ressemblaient beaucoup et où il décida de jeter définitivement l’ancre.
« Il en avait assez des Parigots
Qui venaient vers lui pour meubler
Ensuite les conversations au Lipp
Ou au Pont Royal tiens tiens Perros
Vous les avez donc vues sa bouille
Et sa moto comment fait-il
Disaient-ils vaguement honteux
De le demander et de donner
Tant d’importance à ce type
Qui les méprisait de jouer à la marelle
Entre coups de chapeaux et d’encensoir
Et d’articulets ciselés dans l’encre
De la célébration de l’entre-soi »
Ses vrais amis restaient discrets et respectaient son intimité, ses silences, ses jardins secrets. Hervé Carn était l’un des plus jeunes. Les liens tissés entre eux l’amenèrent à fréquenter sa famille, sa femme, ses enfants. Il les évoque dans ces séquences pleines d’humanité où l’on voit peu à peu se dessiner un autre Perros, l’homme du quotidien, de la « vie ordinaire », abandonnant sa mansarde et ses livres, devenant piéton du port de Douarnenez ou motocycliste s’enivrant de l’air iodé du littoral. On découvre celui qui va au match soutenir la Stella Maris, l’équipe locale, qui flâne au marché et qui boit son coup au café du coin.
« Lorsqu’il s’en va serpenter dans la forêt sombre
Assis au pied du vieux chêne je le regardais
Se mirer dans l’eau noire puis il s’éloigna
Et sans le moindre mot s’assit dans la voiture
Se saisit de son calepin où il balança une note
De retour à Ploné il n’est plus tout à fait le même »
Plus qu’un éloge de Perros, La vie est partout est une incitation à relire l’œuvre (notes, poèmes, récits brefs et correspondance) de cet homme pour qui l’écriture était essentielle même s’il savait que l’on "n’écrit jamais que pour personne par personne interposée" (1). De nombreux écrivains traversent le livre. Jeunes ou moins jeunes. Des noms familiers et d’autres moins connus. Tous ont croisé sa route et quelques-uns (dont Michel Butor) ont fait un bon bout de chemin à ses côtés. Ce solitaire, fidèle en amitié, aimait l’échange (ses lettres en témoignent), le silence, la bonne compagnie et le tempétueux vent d’ouest qui le revivifiait dès qu’il enfourchait sa bécane pour aller se changer les idées dans les parages du cap Sizun et de la pointe du Van.
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