Le livre est divisé en trois parties. D’abord les lettres écrites à Paris, ensuite celles envoyées de San Francisco et enfin un ensemble de poèmes datés de 1962 et 1963 qui étaient joints aux différents envois. Ces missives sont particulières. Elles débutent alors que Lula vient de quitter Pélieu qui, n’acceptant pas ce départ, trouve refuge dans une prose fulgurante qu’il expédie jour après jour à celle qu’il espère voir revenir. Il vitupère, fulmine, harangue, s’agace, improvise de longs et déchirants brames où il laisse éclater sa souffrance, ses désirs, ses manques. Ces lettres sont électriques, expansives, décousues.
« Ma Femme éponge saoule je me faufile jusqu’à toi sous ton coin de
bouche, sous ton ventre blanc bombé à 4 pattes, je jappe sous toi, je
bois ce que tu mets à chauffer tout au fond, ce qui a le goût de
champignon. Nash je te garde dans la cymbale de mon cœur... Je ne tiens
plus, je vais courir comme un fou sur toi, je ne veux en rien
t’abdiquer... Je vais te regarder fixement dans le noir. Demain je
cavale Poste Restante. »
Plus le temps passe et moins les plaintes se font virulentes. Peu à
peu, et cela correspond à son arrivée en Californie, les lettres se
transforment en une sorte de journal-poème où il parle de sa vie, de ses
projets littéraires, de ses collages, de ses lectures, de ses révoltes,
de son addiction à l’alcool et à l’héroïne...
« Je suis prisonnier des bulles et j’ai pu mettre fin à mes angoisses
et à ma spasmodie électronique en plongeant dans les bulles-flocons
Laine & Coton et en utilisant certaine "saloperie". »
Il rencontre poètes, éditeurs et musiciens, vénère Thelonious Monk,
expérimente le cut-up, se passionne pour la poésie sonore, retrouve
Gregory Corso qu’il avait auparavant connu à Paris, se lie d’amitié avec
Ferlinghetti et commence à traduire, en compagnie de Mary Beach, qu’il
épousera plus tard, plusieurs auteurs beat (Burroughs, Ginsberg,
Kaufman) pour les éditions Christian Bourgois. On suit, à la lecture de
ces lettres, derrière cet amour brûlant qui ne le quitte pas, le
parcours autobiographique de celui qui est considéré, à juste titre,
comme le seul poète français à avoir participé avec une telle intensité
à l’aventure littéraire de la Beat Generation.
« De toute manière, chaque lettre reflète ce que je suis en train de
transcrire ou certains états de veille et de descente... même par-dessus
cette douleur, la came et l’alcool ne sont plus que des bastos emmurées
aux écoutes sur le tambour des nerfs... »
Les textes poétiques proposés en fin de livre montrent que Pélieu
avait déjà trouvé sa façon d’écrire. Benoît Delaune (à qui l’on doit,
par ailleurs, un ouvrage consacré à Captain Beefheart),
l’exprime clairement dans une introduction très documentée. Il revient
également sur la genèse de cet ensemble qui doit beaucoup à Lula-Nash
qui, en conservant lettres, poèmes, collages et dessins, a sauvegardé un
pan important de l’œuvre d’un auteur connu pour la grande dispersion de
ses écrits. Ceux-ci partaient souvent à tous vents, au gré de ses
nombreuses correspondances, sans qu’il en garde la moindre copie.
« William Burroughs m’a envoyé un jour un télégramme cut-up où il me
dit Please adjust your brakes (S’il vous plaît, ajustez vos freins)...
je crois que je ne pourrais jamais ajuster mes freins même avec une
seringue électronique... chaque mot s’annule, chaque intersection se
tend, s’explose... c’était simplement t’écrire Lula... tendrement te
dire ce que je ne peux pas te dire... »
Claude Pélieu : Un amour de beatnik, lettres à Lula-Nash, 1963-1964, présentées et annotées par Benoît Delaune, éditions Non Lieu.
Claude Pélieu : Un amour de beatnik, lettres à Lula-Nash, 1963-1964, présentées et annotées par Benoît Delaune, éditions Non Lieu.
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