C'est ainsi que vint un soir Jean-Claude Pirotte, en visite rapide et
impromptue, heureux de sortir prendre l'air en étant sûr de
retrouver le bar ouvert au rez-de-chaussée de l'hôtel Garden
où il descendait, savourant, par avance, ce qu'il pourrait y
déguster en cours de nuit si, par hasard, l'insomnie le gagnait. Il
débarqua et s'éclipsa avant l'aube, laissant sa haute silhouette,
celle d'un homme à l'imperméable chiffonné, s'appuyant sur une
canne et marchant à grand pas, se fondre dans des pluies serrées
qui le tiraient vers le Nord.
C'est ainsi, également, que revint un autre soir, virevoltant en
tous sens sous mes paupières, oiseau agité heurtant après vingt
ans d'absence les parois d'une tête bien encombrée, Shane MacGowan. Lui, il cognait à coups répétés des pintes de bière
noire, lourde, tourbée, contre celles des autres musiciens du groupe
Les Pogues, accoudés au bar
Le Désossé (rebaptisé depuis L'artiste assoiffé),
avant de s'en aller humer le vent d'ouest qui s'engouffrait avec
force dans l'entonnoir du haut de la rue Saint Louis où je le vis
s'évanouir à son tour..
Tous deux, comme tant de leurs semblables, viennent, à tour de rôle,
rappeler que l'oubli est une petite pièce mentale et peut-être même
psychique que la mémoire mène à la baguette et active ou désactive
quand bon lui semble. C'est elle qui les convoque. Elle qui leur
demande de se rendre illico rue de Saint Malo devant La
Trinquette, Le Phoenicien, La Bernique hurlante, La mouette rieuse,
Le King créole, La Nouvelle Orléans ou
Le Bistrot de la plage. C'est elle qui poinçonne plannings et
trajets. Elle qui les fait cavaler dans les quartiers avec passage
obligé sous les vieilles portes et salut furtif aux derniers
octrois.
Extraits de Terminus Rennes, éditions Apogée.
En souvenir de Jean-Claude Pirotte, qui est décédé samedi 24 mai.
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