Celle qui s’exprime ici s’appelle Jana Černá. Elle est la fille de
Milena Jesenska, la destinataire des lettres de Kafka. Elle fut, au
milieu du siècle dernier, l’une des figures marquantes de l’underground
pragois. On la croise parfois (sous le nom de Honza) dans les textes de
Bohumil Hrabal et bien sûr dans ceux du philosophe et poète Egon
Bondy. C’est à lui qu’elle s’adresse.
« Pas dans le cul aujourd’hui
j’ai mal
j’ai mal
Et puis j’aimerais d’abord discuter un peu avec toi
car j’ai de l’estime pour ton intellect.
car j’ai de l’estime pour ton intellect.
On peut supposer
que ce soit suffisant
pour baiser en direction de la stratosphère. »
que ce soit suffisant
pour baiser en direction de la stratosphère. »
Ce poème écrit en 1948 ouvre le livre. Il résume à peu près ce
qu’elle demande à Bondy à travers la longue lettre enflammée qui suit.
Si elle le désire de tout son corps, elle n’en demeure pas moins
aimantée par sa réflexion philosophique.
« Le fait que je t’aime et que je veuille coucher avec toi est lié à
ma passion pour ton travail. Il est vraiment difficile de faire la part
entre l’excitation due à ton corps que je connais si intimement, et
celle qui vient de n’importe laquelle de nos discussions. C’est vraiment
difficile : quand je suis au lit avec toi, je peux parler philosophie,
et quand on en parle à table, ma chatte peut se tenir au garde-à-vous,
car on ne ne peut pas séparer les choses et les abstraire l’une de
l’autre. »
Momentanément éloignée de lui, elle revient sur les moments intenses
qu’ils ont partagés, sur ce qui a fonctionné mais aussi sur quelques
erreurs qui les ont empêchés d’être totalement (corps et esprit) liés.
On y retrouve cette soif de liberté qui l’anime et ce besoin de la
partager avec le seul être capable, à ses yeux, de ne pas la lui
subtiliser. Sa lettre est simple, spontanée, fougueuse, émouvante. La
figure de Bondy la traverse en permanence. Se dessine en filigrane un
portrait du philosophe qui réfléchit, doute et travaille tout en
parvenant à lâcher prise pour que son corps vibre en même temps que
celui de Honza.
« J’ai toujours besoin de savoir que tu partages avec moi ce qui
compte, jusqu’à la limite où cela peut se partager, et même un peu
au-delà. »
Tous deux ont été extrêmement proches, comme en témoigne le Journal de la fille qui cherche,
livre dans lequel Egon Bondy, prenant la plume à la place de Jana
Černá, décrivait en 1951 la folle épopée champêtre et sexuelle, avec
haltes dans le chœur des chapelles ou au pied des tracteurs, de celle
qu’il imaginait alors en train de batifoler avec légèreté au bras des
cultivateurs ou des brasseurs vivant dans les faubourgs de Prague. Une
traduction un peu différente de cette lettre clôturait d’ailleurs
l’édition française de ce texte (paru chez Urdla).
Jana Černá, née Jana Krejcarova en 1928, est décédée dans un accident
de la route en 1981 et Egon Bondy, né en 1930, est mort à Bratislava en
2007. Habitué à fumer au lit, il mit une nuit le feu à son pyjama et
succomba à ses brûlures.
Jana Černá : Pas dans le cul aujourd’hui, traduit du tchèque par Barbora Faure, éditions La Contre-Allée.
Jana Černá : Pas dans le cul aujourd’hui, traduit du tchèque par Barbora Faure, éditions La Contre-Allée.
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