Il était présent au" Bataclan" le 13 novembre 2015, y a reçu une balle
de 7,62 tirée à bout portant, a mis longtemps à s’en remettre mais ne
voulait pas y revenir par écrit. Il disait qu’il s’était trouvé au
mauvais endroit au mauvais moment. Ils étaient mille-cinq cents dans le
même cas. Et plus encore puisque nombre de personnes assises aux
terrasses du "Petit Cambodge" et du "Carillon" avaient également été
criblées de balles. Beaucoup (130) n’étaient plus là pour en parler.
Respecter leur mémoire demandait un minimum de recul et de distance.
Pendant des mois, il refusa de répondre aux journalistes qui le sollicitaient. Il pensait que son témoignage n’apporterait rien. Se méfiait tout autant de l’imposture que de l’opportunisme et multipliait les arguments pour ne pas s’atteler à l’écriture jusqu’à ce que le besoin et l’évidence ne prennent le dessus. Il pouvait, tout au moins, envisager de partager, transmettre ce qu’il avait vécu, le noter en puisant dans ses souvenirs, décrire, sans mettre sous cloche ses velléités de romancier, ce qu’il avait ressenti, et tenter de comprendre comment le fracas de cette soirée s’était propagé dans sa chair et incrusté dans son cerveau.
« Pendant des semaines, tu es écartelé entre l’entêtement des mots et
ta volonté de ne pas faire texte de ta mésaventure, volonté qui
capitule quand t’éclabousse une évidence : tu te tiens à la jonction
d’une épreuve individuelle et d’un choc collectif, sur le point de
bascule du "je" au "nous". »
Il débute son livre en expliquant comment, alors qu’il était encore
adolescent, le rock s’est emparé de lui. Il dit l’énergie qu’il
emmagasine en s’en imprégnant et le plaisir qu’il prend quand il
assiste aux concerts de ses groupes de prédilection. Parmi eux, "Eagles
of Death Metal", qu’il a entendu pour la première fois en 2008 avant de
les voir au festival Rock en Scène en 2009. Quand il apprend que
le groupe va se produire à nouveau en France, au "Bataclan" cette fois,
le 13 novembre 2015, il ne tarde pas à acheter son billet. Et ce
soir-là, à 20h15, alors qu’il n’a trouvé personne pour l’accompagner, il
gare sa moto sur un terre-plein à proximité, fume quelques cigarettes,
monte les marches, dépose veste et casque au vestiaire et pénètre dans
la salle, heureux de retrouver des sensations qui lui plaisent. Il boit
une bière. La première partie vient de se terminer. Les musiciens
arrivent et démarrent pied au plancher. « Premiers riffs, premiers
larsens, du rock, de l’énergie, putain ce que c’est bon ! » C’est peu
après que tout bascule.
« À 21h 40, ou 42, ou 47, ils ne sont pas fichus de se mettre
d’accord, bruits de pétards, les musiciens se figent puis quittent la
scène en courant, des cris, du mouvement, ce ne sont pas des pétards,
"Couchez-vous ! Couchez-vous !"
Je me jette au sol.
Là commence le roman – à moins qu’il n’ait commencé sans me prévenir. »
Je me jette au sol.
Là commence le roman – à moins qu’il n’ait commencé sans me prévenir. »
Ce que raconte alors Erwan Larher est la suite (puis l’après) de la
soirée telle qu’il l’a vécue, allongé, blessé sur le sol, seul avec
lui-même, au milieu des autres. Il évoque, en précisant ses pensées, ses
émotions, la douleur qui le transperce, la silhouette de l’un des
terroristes debout dans les parages, les lumières qui s’allument, les
coups de feu qui fusent, l’attente des premiers secours, la venue d’un
médecin, la main invisible de celui ou de celle qui s’accroche à l’un de
ses mollets, l’évacuation vers l’extérieur, couché sur le fer rude
d’une barrière métallique transformée en civière, l’ambulance, le trajet
bringuebalant jusqu’à l’hôpital Henri Mondor de Créteil, l’entrée aux
urgences, la salle d’opération. Il tente d’exprimer le plus simplement
possible ce que furent ses réflexes, ses réflexions, ses sensations
contradictoires et le cheminement de sa pensée durant ces heures. Il le
fait sans pathos et sans se morfondre. Pour tenir, il se répète deux,
trois mots et s’y accroche.
« On s’occupe de toi. Tout est sous contrôle. Pendant que tu attends
pour le scanneur (ou était-ce avant d’être ausculté ?), un ou deux flics
t’interrogent, en prenant des précautions oratoires touchantes. »
Il n’est pas tout à fait sûr de sa mémoire et peu importe. Il sait
que cette nuit-là, il n’est qu’un parmi des milliers d’autres. Le drame
est collectif. L’impact de l’attentat se propage. Un peu partout, à
Paris et ailleurs, beaucoup vivent dans l’angoisse. Les téléphones
sonnent (lui, il est parti au concert en oubliant son portable), les
comptes Twitter et Facebook sont plus actifs que d’habitude. On appelle,
on interroge, on attend des nouvelles, on redoute le pire.
Que faisaient, et qu’ont fait, durant ces heures interminables, ceux qui n’y étaient pas mais qui se trouvaient très liés avec quelques-uns de ceux qui y étaient ? C’est ce qu’Erwan Larher a demandé à ses proches. Ce qu’ils (amis, écrivains, compagne, parents) ont écrit à ce sujet intervient régulièrement, entre deux chapitres, dans des séquences titrées "Vu du dehors", donnant à ce livre bouleversant, plein de vie, de tact, de pudeur et d’humour, une tonalité plus forte encore.
Erwan Larher : Le livre que je ne voulais pas écrire, Quidam éditeur.
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