S’il est un monde qui reste peu exploré par la littérature, c’est bien
celui des garderies. Pierre Terzian y est propulsé un peu par hasard.
Marié à une Québecoise, il déménage à Montréal et part en quête d’un
travail. C’est ainsi qu’il se retrouve à effectuer des remplacements
dans de nombreuses garderies de la ville. Tous les matins, peu après 6
heures, le réveil sonne et Gaëtan, le grand ordonnateur à la voix douce,
lui souhaite le bonjour (« Bon matin, Pierre ») et lui indique le lieu
où il doit se rendre. Un jour, c’est à Verdun, un quartier populaire de
l’île de Montréal, un autre à Pointe Saint-Charles, ou dans Villeray,
Rosemont, LaSalle ou ailleurs. Il va y côtoyer les Coccinelles, les
Pingouins, les Koalas, les Lucioles, les Écureuils. Tout un monde, celui
de la petite enfance, dans lequel il va s’immerger.
« Tous ces enfants de toutes les couleurs s’agglutinent autour d’une
table basse, ou autour d’une réplique d’aubergine trouvée par terre,
puis se séparent subitement, marchent vite ou battent l’air de leurs
bras en tirant la langue, s’agenouillent et se relèvent aussitôt, se
poussent sur le tapis, se pointent le visage et se menacent
(probablement) de mort. L’espace est saturé. De mouvements. De prises de
décision brusques. De chutes, d’esquives. Et, au milieu de ce banc de
poissons fous, on distingue une baleine verticale, un diplodocus
imperturbable, figé dans le temps : un adulte. »
Il y a là des personnalités bien affirmées. Tels Lulu, l’hyperactif
qui redoute l’heure de la sieste, Jacob, l’enfant bavard qui a toujours
raison, Zean-Baptiste qui a un cheveu sur la langue et qui est doté
d’une inébranlable confiance, Feng, la douce silencieuse et émerveillée,
Yaya qui arrive du Kinshasa et qui ne peut s’empêcher de balancer
objets, livres et chaises, Svetlana, « la petite Bulgare bleu pastel »
et bien d’autres qui s’activent au milieu d’éducateurs parfois un peu
inquiets quant à la tournure des événements.
« Chris et Lola font toujours la même chose. Ils s’allongent sous la
table et restent étendus de longues minutes sur le flanc. Comme ralentis
par une chaleur extrême. Ils poussent de petits cris et relèvent
parfois la tête, pour observer l’horizon. Ils se caressent, front contre
front, se lèchent les mains, avant de regarder à nouveau dans la même
direction.
Plus tard, je leur demande :" À quoi vous jouez ?" Ils me répondent, d’une seule voix : "Aux bébés tigres".
Plus tard, je leur demande :" À quoi vous jouez ?" Ils me répondent, d’une seule voix : "Aux bébés tigres".
C’est ce monde vif, turbulent, insouciant, joueur, spontané et
inventif que l’auteur rend palpable en entremêlant, dans un récit
alerte, des séries de portraits rapides, des propos d’enfants saisis au
vol (le titre en est un), des scènes nerveuses, des dialogues
multilingues et des expressions typiquement québécoises. Le style
Terzian est direct et efficace. Il n’est pas metteur en scène pour rien.
Il observe, note, transcrit, transmet. Avec finesse, tendresse et
bienveillance. Il faut une bonne dose de fraîcheur et une belle énergie
pour plonger dans ces lieux invisibles, en pleine période d’austérité,
au contact d’enfants issus de milieux plutôt modestes, et pour en saisir
la réalité. Il y ajoute son regard extérieur, son apparente
désinvolture et son plaisir de se retrouver, durant deux cents jours, au
milieu de ces êtres fragiles et fascinants.
Pierre Terzian : Ça fait longtemps qu’on s’est jamais connu, Quidam éditeur.
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