« La pomme
sans rien dire
fait plier la branche
sous le poids de ses rapines
aucun remords
en son firmament
une étoile
captive fleur d’avril
étincelle jaillie d’une chimie
où dorment les vergers »
Ces dernières années, il a surtout cheminé en compagnie des peintres, réalisant plusieurs livres d’artistes publiés à tirages limités. Ce fut le cas de Fontaines, une série de poèmes en prose conçus pour célébrer ces lieux souvent abandonnés, dédiés à tel saint, telle sainte, et de Turbulence du signe, autre série dans laquelle il interroge son rapport à l’écriture et la lente, étonnante, survenue de celle-ci. Les textes de ces deux livres sont ici repris.
« Depuis des années aucune ombre ne vient s’agenouiller. Les années ont perdu leurs croyances. La fontaine oublierait presque qu’elle a été fontaine sacrée, que son eau a sauvé des douleurs toute une lignée de malades, que des mains la fleurissaient par peur du trépas, en oubliant presque de vivre. »
Alain Le Beuze évoque en avant-propos sa façon de concevoir le poème, de le faire tenir sur la page, de lui donner son et sens, de trouver les mots justes, de les assembler afin de créer un " lieu-poème " destiné à devenir " l’intérieur de votre propre corps, de votre mental soumis aux péripéties de votre errance ".
Ces propos s’adaptent on ne peut mieux à Stase, séquence placée au centre du livre et constitué de poèmes nés dans la douleur et l’incompréhension, puis dans l’acceptation, à l’époque où le sida ne laissait pratiquement aucune chance aux malades. Ces poèmes disent, avec une grande pudeur et dans une implacable justesse de ton, l’agonie et le départ de l’ami.
« ton corps ne répond plus
qu’aux interrogatoires de la douleur
tu m’exclus
de tes monologues
parole confisquée
reléguée aux souvenirs
sous l’ombre des pinèdes
dans nos étés fous »
En moins de trente pages, d’une intensité, d’une gravité extrême, tout est dit ou suggéré. Le lecteur sait dès lors qu’il doit garder le silence. Il n’y a rien ajouter aux mots du poète, si ce n’est de dire que Stase forme un bloc d’une force considérable.
« à la fin la morphine
devint ta petite Antigone
elle jetait en toi
des poignées de lumière
défiant
la régence de la douleur
mais ton corps
a cédé aux avances du froid
aux premières neiges
lorsque Antigone fut arrêtée. »
Le corps (condamné ou empêché, empli de désirs ou de craintes) est très présent dans cet ensemble qui réunit des poèmes écrits sur une vingtaine d’années. Le corps humain bien sûr mais également le corps social et les corps de fermes abandonnées ou vendues.
« la ferme
vendue
aux herbes,
aux ronces,
aux vents,
aux oiseaux,
à la vieillesse du ciel
qui se souvient à peine des pluies d’hiver »
Lire Alain Le Beuze, c’est pénétrer dans un monde habité, sensible, vivant au présent, où chaque frémissement du corps, de la pensée, du paysage vibre intensément, répercuté par une langue précise et concise.
Alain Le Beuze : Métastase, Les Hauts-Fonds.
Superbe article, mon cher Jacques, d’un poète qui œuvre dans l’ombre, comme je les aime.
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