Derniers oiseaux regroupent des poèmes publiés çà et là, souvent à tirages limités puis revus et retravaillés. On suit quelques-uns de ceux (ils sont six) qu’il a repérés lors de ses voyages ou de ses promenades, surprenant les martins-pêcheurs « immobiles comme des marabouts » près des bassins et des temples en Inde ou regardant les mouettes d’Ostende évoluer près des vendeurs de moules, à deux pas de la maison de James Ensor, tandis que les sanderlings, ces bécasseaux « aux cous articulés / couleur d’ardoise triste » se rassemblent et forment « une curieuse colonie à Tréguennec », en pays bigouden.
Ailleurs, ce sont les étourneaux, leurs nuages de suie au ciel ou leurs grappes tombant brusquement dans les arbres à la tombée de la nuit, qui l’invitent à ne rien rater de leur vol et des nombreuses figures qu’ils dessinent là-haut, ce qui est leur façon de dire qu’ils ont, eux aussi, leur propre écriture.
« Sur le chemin piqué d’ajonc
Qui descend en glougloutant près de Botmeur
Vers les marais puants des Enfers
Les étourneaux ont l’art de faire ruisseler les images
Mais quelle musique aussi,
Ces bruissements de mues au faîte des cerisiers, ce
Long remuement d’ailes rousses qui pataugent
Dans l’eau de l’air ! »
Le pivert qui « sort de son arbre » au lever du jour, tout ébouriffé de rosée, et le pigeon (qu’il n’aime pas tout en admettant que certains peuvent parfois devenir de prodigieux voyageurs) trouvent également place dans le livre, peints, saisis en pleine action, comme les autres volatiles, par le peintre Henri Girard.
Sternes, poème inédit, est accompagné par les dessins de Maria Mikhaylova qui signe également la mise en page. Les mots, les vers, les changements de rythme et les subtilités métaphoriques de Marc Le Gros nous permettent de visualiser un spectacle à nul autre pareil, chorégraphie parfaite en bordure d’océan, avec en scène ces petits migrateurs, appelés aussi hirondelles de mer, en train de piquer du bec dans l’eau pour y subtiliser lançons et sardines.
« Les sternes ont la colère brève, la
Jouissance
Sèche
Une phrase courte
Une corde qu’on tend dans l’air acide
Toute prête à craquer »
Quelques minutes plus tard, travail accompli et repas ingurgité, les voici qui dorment. Leur calotte noire en haut du crâne ne bouge plus.
« Elles dorment sur leurs pattes courtes
À peine visibles et chaque fois
On dirait qu’elles rêvent et nous aussi pour un peu
On glisserait on
Basculerait dans leur douceur cette
Blancheur de peluche ancienne
N’était ce long fuseau des corps qui nous traverse
L’effilé splendide des dos qui chaque fois nous
Brûle les yeux
Comme une lame de lumière dans la mémoire »
Le poème de Marc Le Gros vibre, bouge et suit avec bonheur celles qui lui donnent son titre. Il les fait vivre (entrer, voler, pêcher, se sécher les plumes) dans son livre, accompagné, page à page, au plus près du texte, par les superbes dessins de Maria Mikhaylova.
Marc Le Gros : Derniers oiseaux, peintures de Henri Girard, Sternes, dessins et mise en page de Maria Mikhaylova, Est, Samuel Tastet Editeur.