Ce livre est de ceux dont le titre se trouve assez rapidement démenti
par son contenu même. La douceur évoquée est celle à laquelle aspire
la plupart des personnages du roman. Le décor (le calme d’une petite
ville autrichienne) et la période de l’année (entre Noël et le nouvel
an) pourraient aider à atteindre ce bref instant de plénitude tant
désiré. Mais la réalité est différente. Dans cette apparente langueur,
où vivent au ralenti une bourgade et ses abords montagneux couverts de
neige, un vieil homme de 86 ans vient d’être découvert mort près de sa
grange, le visage broyé par les roues d’un engin puissant qui pourrait
être un tracteur ou une dépanneuse.
Cette énigme, Ludwig Kovacs, le policier en charge de l’affaire, va devoir la résoudre en tentant de découvrir l’assassin et son mobile. La tâche est d’autant plus ardue que la seule personne capable de lui donner quelques indices est la petite Katharina, frappée de mutisme après avoir retrouvé son grand-père (avec qui elle jouait peu avant) allongé dans la neige, les bras en croix et le visage écrasé.
« Couché là, il y a comme quelqu’un qui fait l’aigle dans la neige,
les bras largement étendus comme des ailes. Il avale la clarté de la
lune. L’enfant pose un pied à côté de l’autre. Puis elle se penche. Les
brodequins noirs ressemblent à ceux du grand-père. »
C’est cette fillette que le docteur Horn, psychiatre à l’hôpital de Furth, va voir entrer dans son service peu après.
« Cette année ne finit pas bien, pensa Raffael Horn. »
Les nombreux faits divers, tous assez scabreux, qui ne cessent de
s’accumuler, ne peuvent que lui donner raison. Il en reçoit, tout comme
le policier Kovaks, les premiers éclats. Tous deux se trouvent
confrontés à des situations qu’il leur faut, d’une façon ou d’une autre,
comprendre et disséquer à un moment où ils espéraient plutôt souffler
et passer tranquillement les fêtes de fin d’année.
Avançant chapitre par chapitre, se plaçant tantôt du côté de
l’enquête de police, tantôt dans le service du psychiatre, et n’hésitant
pas à amplifier son roman en sondant la mémoire et le quotidien de
nombreux autres protagonistes (curé désaxé, ex-facteur reconverti en
apiculteur, hôtelier marocain harcelé par des bandes de skinheads,
ancien taulard devenant coupable idéal), tous reliés, parfois
secrètement, à l’énigme, Paulus Hochgatterer construit son roman avec
lenteur et habileté. Rien (et surtout pas la psychologie) de ce qui
fonde la vie de ses personnages n’est laissé au hasard. Tous sont
confrontés à des luttes intérieures qu’ils doivent de temps à autre
oublier pour s’intégrer dans un tissus social qui est loin de répondre à
leurs attentes. C’est celui de l’Autriche vu par l’un de ses écrivains
qui, comme tant d’autres (Thomas Bernhard, Elfriede Jelinek, Josef
Winkler...), porte un regard critique et pessimiste sur son pays.
Hochgatterer a choisi, pour ce faire, une mise en scène fouillée et, au
final, terriblement efficace. Ce livre est bien plus qu’un roman noir.
Il permet de visualiser, détails à l’appui, la fragilité d’une société
profondément fissurée qui laisse apparaître, au grand jour, après avoir
tenté de les contenir dans le microcosme familial ou rural, une somme
de malentendus, de non-dits, de mensonges, de blessures, de violences,
de crimes, de règlements de comptes (souvent liés à la dernière guerre)
et de trahisons qu’elle ne peut plus dissimuler.
Paulus Hochgatterer a reçu, avec ce livre, au dénouement inattendu,
le prix du meilleur roman noir allemand en 2007 et le prix européen de
littérature 2009. Il avait auparavant publié, également chez Quidam, un
très subtil et tout aussi convaincant roman : Brève histoire de la pêche à la mouche.
Paulus Hochgatterer : La douceur de la vie, traduit de l’allemand (Autriche) par Françoise Kenk, Quidam éditeur.
Paulus Hochgatterer : La douceur de la vie, traduit de l’allemand (Autriche) par Françoise Kenk, Quidam éditeur.
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