La biographie que Jonathan Coe a consacré à B.S. Johnson, l’auteur d’Albert Angelo et des Malchanceux, a été publiée par les éditions Quidam il y a quelques années. Le livre, aussi imposant que pouvait l’être, physiquement, Johnson lui-même, est une mine pour qui veut découvrir cet écrivain hors normes.
En quelques 500 pages, Jonathan Coe
va à la rencontre d’une œuvre qui l’interroge et qui le fascine tout en
cherchant à comprendre et à suivre le parcours de celui qui l’a conçue.
Il procède de façon méthodique et scrupuleuse, revenant d’abord sur
chacun des sept romans de l’auteur et montrant, lettres et extraits du
journal tenu par Johnson à l’appui, que le refrain obsessionnel de
celui-ci, « raconter des histoires, c’est raconter des mensonges », va
guider toute sa vie. Se méfiant de la fiction, il veut que son texte
colle à la réalité et y puise sa force.
Cette vision très stricte du travail littéraire n’exclut pas les
innovations formelles. Johnson, fervent lecteur de Joyce et de Beckett
(qui présenta d’ailleurs, en 4ième de couverture, l’édition de poche
anglaise de Christie Malry règle ses comptes), pourfend le roman traditionnel et n’hésite pas à le désacraliser en trouant par exemple quelques pages d’Albert Angelo (pour que le lecteur impatient puisse découvrir, à travers ces trous, ce qui va se passer un peu plus loin) ou en concevant Les Malchanceux en chapitres volants et interchangeables.
Jonathan Coe souligne également, avec justesse, ce qu’il y a de
restrictif dans la démarche de Johnson. Celui-ci regorge d’énergie. Il a
le cerveau en grande ébullition. Il a, en lui, des chevaux qui ne
demandent qu’à se libérer. La fiction qu’il refuse pourrait peut-être
ouvrir ces vannes qu’il s’évertue à maintenir fermées. Et qui causent de
sérieux dégâts psychologiques. Cet homme qui se limite ainsi pour faire
valoir un parti pris intransigeant mais sincère se brûle et tombe
périodiquement en dépression.
Outre ce côté restrictif, Coe évoque les contradictions qui
traversent l’homme. Epris de vérité, il se trouve parfois confronté à
des expériences irrationnelles et mystiques, trouvant sur sa route
livres et personnages qui deviennent peu à peu ses démons.
La force du livre que propose Jonathan Coe tient au tissage minutieux
qu’il crée en reconstituant le puzzle d’une vie en 160 fragments très
documentés. Pour ce faire, il s’est déplacé, a refait, trente ans plus
tard, certains des trajets empruntés jadis par l’auteur de Chalut ou de R.A.S. Infirmière-Chef.
Il est allé à la rencontre de ses proches. Il a interrogé des écrivains
(entre autres John Berger). Il a croisé leurs regards et témoignages
pour percer les mystères d’un écrivain secret et terriblement attachant.
Tout cela, Coe le fait avec empathie et lucidité.
Il redonne ainsi vie à un être fougueux, perpétuellement en colère
(souvent contre lui-même), souffrant de son image physique (108 kilos et
un constant besoin de sucreries), proche de la classe ouvrière, n’ayant
jamais oublié son évacuation de Londres – se trouvant très jeune séparé
de ses parents – durant la Seconde Guerre mondiale, se rappelant sans
cesse ses premiers échecs amoureux, travaillant comme un forcené
(romans, poèmes, critiques, correspondances, journal, textes pour la
télévision et le théâtre), ne faisant relâche que quelques heures par
semaine pour supporter l’équipe de football de Chelsea et se rendre au
pub.
Les dernières pages de cette biographie intense et réussie
s’intéressent au destin de B.S. Johnson. On se doute, dès le début, que
cela finira mal. Que cette fougue trop intériorisée ne peut qu’anéantir
un être profondément humain et qui n’aspirait sans doute pas à autre
chose qu’à vivre une vie familiale paisible doublée d’une vraie
reconnaissance littéraire.
Le 13 novembre 1973, à quarante ans, à bout de force, incapable de
retravailler un texte en cours, supportant mal le décès de sa mère, seul
dans sa maison désertée depuis quelques jours par sa femme et ses
enfants qui, craignant les effets violents dictés par la dépression et
l’alcool, ont préféré trouver refuge chez des amis, B.S. Johnson met fin
à ses jours. Il se fait couler un bain, s’enfonce dans la baignoire,
reproduit les gestes tranchants de Pétrone et laisse près de lui une
bouteille de cognac et une carte où il note : « Ceci est mon dernier
mot. »
Jonathan Coe : B.S. Johnson, histoire d’un éléphant fougueux, (traduit de l’anglais par Vanessa Guignery) Éditions Quidam.
Jonathan Coe : B.S. Johnson, histoire d’un éléphant fougueux, (traduit de l’anglais par Vanessa Guignery) Éditions Quidam.
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