L’étonnement qui semble animer en permanence Pierre Drogi est déroutant
et stimulant. Il le renouvelle de page en page avec subtilité, offrant à
la poésie ce qu’on est parfois en droit d’en attendre : du souffle,
des fulgurances, des impulsions qui piègent la conscience et des
émotions qui traversent le corps fébrile du promeneur aux aguets. Il se
frotte au monde extérieur. Touche des yeux la martre et le renard. Se
sent démuni face à l’oiseau. Un peu décontenancé par le regard de la
hulotte mais heureux de pouvoir néanmoins l’imiter en privé. C’est un
adepte du contre-pied. Un virtuose du coq à l’âne assumé.
« joué à l’homme
- à la cervelle de bois -
toute une année
tout un an
loin du but. »
- à la cervelle de bois -
toute une année
tout un an
loin du but. »
Tout ce qui respire, bouge, s’anime (un arbre, un animal, une rivière
ou un être, une conscience, une parole, etc) noue une relation avec
son double, son contraire ou son semblable mais ceci ne s’érige pas
pour autant en vérité immuable. L’imaginaire apprécie la surprise et
aime la provoquer. L’imprévu guette au carrefour. Il peut ainsi arriver
qu’un distrait en virée dans un chemin de terre enfile des digitales en
guise de gants, ou qu’un soir d’orage un chien fidèle rapporte une boule
de feu à son maître, ou que des « oisifs en partance dans un ciel
déserté » surprennent et rejoignent dans les vallons « des rouleaux de
lièvres » en liesse. Il peut tout aussi bien advenir qu’un mot en
appelant un autre puis un autre voit rappliquer sur la page celui qu’il
n’attendait pas. Cet heureux contretemps va, incidemment, faire
bifurquer le poème en le propulsant dans un monde onirique où fleurs,
lumière, sauterelles et bottes du pêcheur égaré (par exemple) scelleront
l’instant en apportant chacun sa part de rêve et de réalité. Le
matériau reste très friable. Drogi le manipule en conséquence.
« les mots ne sont que les petits captifs d’autre chose (sourcement)
qui coule cache et délivre une moisson d’étranges bulles ? »
Les suites et séquences qui composent Animales s’entrelacent
et réservent de multiples surprises. Il y a là un souffle, un ton, une
légèreté qui tiennent tout à la fois de l’aérien et du terre-à-terre. Ce
que Pierre Drogi détecte niche souvent dans l’infiniment petit ou dans
l’infiniment grand. Ce sont goutte de rosée ou forêt, libellule ou gros
gibier. Il considère, à juste titre, que tout ceci (et mille autres
signes précis, visibles ou pas) participe au foisonnement des vies en
cours, simultanément, dans des lieux proches, et que les uns, les unes,
les autres ne cessent de se frôler, de se toucher, voire de
s’interpénétrer sans s’en douter. Il cherche (et trouve et rassemble)
des traces de connivence. Il en saisit les contours flous, devine leur
fantaisie et les cale dans son livre à ciel ouvert.
« le roi est un corps / il est nu. sur la prairie rase rouge / de belettes / avec bouleaux et saules / encagés. »
Pierre Drogi : Animales suivi de Suite azyme & Porte-lune, Le clou dans le fer.
Pierre Drogi : Animales suivi de Suite azyme & Porte-lune, Le clou dans le fer.
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