C’est dehors, au milieu des autres, dans l’incessant flux des piétons
qui vaquent, se croisent, se heurtent, participant lui aussi à la grande
bousculade, y happant des odeurs suaves, froides, enivrantes ou
surannées, celles qui émanent des corps, des caniveaux, des chiens
mouillés, des poubelles, des pots d’échappement, des cuisines ouvertes,
c’est dans le brouhaha, dans l’agitation quotidienne, brutale et sauvage
des rues animées que Saïd Mohamed va puiser l’étonnante vitalité qu’il
diffuse ensuite sans compter dans ses poèmes. Il est ici en pays de
connaissance. Il se mêle à ceux qui lui ressemblent et qui éprouvent
l’impérieux besoin de côtoyer la foule plutôt que de s’isoler en
chambre close. Cela se passe dans certains quartiers de Marrakech, de
Paris, d’Istanbul ou de New York, dans des artères populaires que
sillonnent des milliers d’anonymes souvent immigrés, réfugiés,
délaissés, exclus, déclassés. Chacun d’entre eux porte une histoire
particulière (qui a à voir avec la pauvreté, la douleur, la
guerre) et un présent qui prend des allures de survie en terre hostile.
« A Bab Doukala il faut s’être roulé dans la boue, les déchets des
légumes et les couleurs emmêlées des montagnes de carottes, d’oignons
blancs, de patates, de citrouilles, d’oranges, de bananes, de tomates,
de courgettes, d’aubergines.
Y avoir entendu les cris des charretiers, les insultes des acheteurs.
Ainsi à Bab Doukala va le peuple qui patauge dans la richesse et l’indigence.
Peuple, sombre, de gueux fiers. Foule laide et grouillante, de noble et de mendiants mélangés. »
Y avoir entendu les cris des charretiers, les insultes des acheteurs.
Ainsi à Bab Doukala va le peuple qui patauge dans la richesse et l’indigence.
Peuple, sombre, de gueux fiers. Foule laide et grouillante, de noble et de mendiants mélangés. »
Arpentant l’espace urbain, il note plus ce qu’il ressent que ce qu’il
voit et en profite pour mettre en route son imaginaire. Celui-ci le
propulse dans des territoires où la réalité perd de sa rudesse. Quand
il desserre l’étau quotidien, c’est pour y ajouter une dose de
fantastique plus ou moins relié à certaines coutumes et légendes.
« L’ouvrier maçon, père de famille affamée, a bu le lait d’une femme
enceinte, respiré l’encens, laissé couler le sang d’un coq noir sur la
terre.
Il a suspendu une tête d’agneau au porte-bagages de son vélo et fait sept fois le tour des remparts dans le sens du soleil.
En rentrant chez lui après son labeur il a vu qu’un festin et un palais l’attendaient.
Sa tête envoûtée résonnait, des coups la frappaient drus, telle la peau de chèvre polie d’un tambour. »
Il a suspendu une tête d’agneau au porte-bagages de son vélo et fait sept fois le tour des remparts dans le sens du soleil.
En rentrant chez lui après son labeur il a vu qu’un festin et un palais l’attendaient.
Sa tête envoûtée résonnait, des coups la frappaient drus, telle la peau de chèvre polie d’un tambour. »
Il y a chez Saïd Mohamed un souffle (l’oralité n'y est pas étrangère) qui tend, à l’extrême, chacun de ses textes. Ce souffle-là
est porteur d’une énergie rare. Qui doit, de temps à autre, on imagine,
l’épuiser.
Saïd Mohamed :Jours de liesse, illustrations de Coline Bruges-Renard et préface de Jacques Morin, Les Carnets du Dessert de Lune.
Saïd Mohamed :Jours de liesse, illustrations de Coline Bruges-Renard et préface de Jacques Morin, Les Carnets du Dessert de Lune.
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