Lire Ariane Dreyfus, c’est se mettre en retrait, faire un pas de côté
et s’engager sur des routes qui ne ressemblent pas à celles que nous
empruntons d’ordinaire. Avec elle, il faut savoir prendre son temps. Se
rendre disponible et s’approcher des autres. Être attentif à ce qu’ils
disent et comprendre ce que peut cacher un non-dit. Qui ne sera effleuré
que par effraction, souvent grâce au regard. Celui-ci est important. Il
ne dévoile pas tout mais il ouvre à chaque fois une porte, délimite un
espace, surprend un geste, croise un autre regard.
« C’était là,
Ma fille assise dans l’escalier, je la regarde entre les barreaux
Ne bouge pas
J’aime continuer
Ma fille assise dans l’escalier, je la regarde entre les barreaux
Ne bouge pas
J’aime continuer
L’importance de se regarder
Sans doute
Le visage en veut un autre »
Sans doute
Le visage en veut un autre »
Les enfants dont elle parle ici viennent de divers horizons.
Certains, plus isolés que d’autres, ont même précédemment vécu en tant
que personnages d’un roman. Ils « bougent pour faire respirer leur
solitude », dit-elle et ont, pour cela, besoin d’histoires. Que l’on
peut inventer et raconter. Ce qu’elle fait en sachant que leur esprit
curieux et créatif saura meubler les moments de silence qu’elle prend
soin de préserver. Ses poèmes naissent presque toujours d’un mouvement
anodin. Qui suscite une émotion, ou ravive la mémoire, ou éveille la
sensualité, ou donne corps au présent.
« J’ai fermé les yeux
Ouvrant la bouche pour que ma langue
Touche une autre langue dans une autre bouche
Ouvrant la bouche pour que ma langue
Touche une autre langue dans une autre bouche
Cela donne
Un éclat à peine étiré
Tout de suite arrondi
Un éclat à peine étiré
Tout de suite arrondi
Puis un sursaut, un envol
Que n’ont pas vu les yeux rouverts »
Que n’ont pas vu les yeux rouverts »
C’est précisément l’improbable, l’invisible, ce qu’on ne capte pas
instantanément qu’elle aime ainsi traquer. Elle en note les vibrations,
les échos qui peuvent se répercuter en elle, passant du regard au
corps puis du corps à la page.
« Je ne veux pas fermer les yeux
Si je tâtonne, si je suis assez lente,
Le poème ira quelque part »
Si je tâtonne, si je suis assez lente,
Le poème ira quelque part »
L’été, le farniente, le bord de mer, la transparence de l’eau portent
leur sensation de bien-être au cœur même de cet ensemble. Ariane
Dreyfus, par touches ajustées, éclats brefs, mouvements narratifs
succincts, parvient à y faire entrer des personnages qui ne se sont
jamais rencontrés mais qui constituent pourtant une grande et
réconfortante communauté, composée d’êtres différents et unis.
Ariane Dreyfus : Le dernier livre des enfants, Flammarion
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