Les lieux se nomment la Lisière, le Centre, le Grand Extérieur. On peut
aisément s’y perdre. Thomas, l’adolescent qui s’est échappé du centre
psychiatrique où il se trouvait, peine à se repérer dans ce dédale qui
ressemble beaucoup à celui qui encombre son propre cerveau. Il oublie
les noms, ne parvient pas à terminer ses phrases et ne sait pas toujours
s’il vit au présent ou au passé. Ces dérèglements ne l’empêchent pas de
courir. Il trace sa route. Se bat avec ses peurs. Affronte ici un
chien enragé, là des chasseurs de sangliers, ailleurs un garde
forestier. Il perçoit des voix, des murmures, des souffles, des sons
qui, en s’engouffrant dans ses oreilles, font ressurgir des scènes
particulières.
« Une nuit, il entend des rumeurs, des éclats de voix, des tintements
et des applaudissements. L’assemblée se tient au pied de son lit, puis
elle retourne de l’autre côté de la route au gré des courants d’air. Il
se lève. La cour est vide. Quelques petits jouent en sautant à
cloche-pied, et à un moment précis et mystérieux, tous se jettent sur un
enfant et le rossent. »
Il porte avec lui un carnet. C’est son seul bien. Sa vie entière
tient dedans. Tous ceux qu’ils côtoient y sont dessinés par ses soins.
Or ce carnet, sans lequel il ne peut poursuivre son chemin, disparaît de
temps à autre, retenu, pour consultation ou par simple curiosité, par
ceux qui représentent l’autorité. Il est également accompagné par
Samuel, son double invisible, et avance armé d’un pistolet imaginaire.
Ainsi vit et va Thomas. Qui se débat avec lui-même et avec beaucoup
d’ombres et de fantômes.
« Au fond de sa poche, il touche son paquet de tabac, il roule une
cigarette. Il inspire profondément à chaque bouffée, sa tête tourne et
il ferme les yeux pour s’épargner la valse des arbres et toute cette
guimauve, puis il s’installe sur un tapis de mousse desséchée, il va
dormir un peu. »
Faire percevoir d’un côté l’enfermement intérieur de cet être et de
l’autre son impérieux besoin de s’en libérer n’est pas évident. C’est
pourtant ce que réussit Élodie Issartel en intégrant les effets de la
maladie jusque dans son texte et en décrivant les multiples sensations
et perceptions d’un adolescent fragile mais déterminé qui cavale (en
rêve ou en réalité) en recherche de points d’appui, et tout particulièrement la
maison de ses parents.
Élodie Issartel : Les Acouphènes, Le Nouvel Attila.
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