Les poèmes regroupés dans Si décousu ont été écrits par
Ludovic Degroote au cours des vingt ou vingt-cinq dernières années. Si
certains d’entre eux sont inédits, d’autres ont au préalable fait
l’objet de tirages limités, souvent en livres d’artistes. Cet ensemble
n’a cependant rien d’une compilation. Il est, au contraire, subtilement
construit. Les époques s’entremêlent et le texte bouge,
imperceptiblement. Plus on avance dans l’ouvrage et plus le poète se
déplace, et son poème aussi, arpentant des paysages où frémit une part
vitale de son être intérieur.
« ici comme ailleurs mer bleue, ou verte
je peux aller ailleurs
la mer me traverse
je me croise sans qu’aucun bleu ni vert ne se croisent
quand je dérive je me rassemble
ici je dérive ici
je circule comme je peux
dans l’air du temps »
je peux aller ailleurs
la mer me traverse
je me croise sans qu’aucun bleu ni vert ne se croisent
quand je dérive je me rassemble
ici je dérive ici
je circule comme je peux
dans l’air du temps »
La voix de Ludovic Degroote est précise, exigeante, interrogative. Il
connaît le doute. Sait la nécessité qu’il y a à se laisser parfois
envahir par lui. Pour débusquer d’autres moyens de s’en sortir. Pour
mieux appréhender son espace mental et les questions existentielles qui
s’y faufilent. C’est ce travail d’approche, en équilibre instable,
n’étant sûr de rien, tentant de se servir de la moindre perche que
pourrait lui tendre son intuition, qui le guide.
« on se tient
dans cette disparition
de soi du vent
on ne sent qu’une trace
qui nous ramène au présent
dans cette disparition
de soi du vent
on ne sent qu’une trace
qui nous ramène au présent
c’est un espace
trop étroit
pour le corps
pour la tête
trop étroit
pour le corps
pour la tête
on y est bien mal »
Rien de tel, pour le suivre, que de s’adapter, en lecture, au souffle
prenant et continu de cette écriture si particulière, à la fois robuste
et délicate, empreinte de douceur et de force, discrète et percutante.
Ludovic Degroote est engagé sur une route étroite. Avec pour tout bagage
son corps, sa pensée, sa mémoire, ses mots, ses incertitudes. Il décrit
ce que son champ visuel découvre. Il évoque l’homme fragile qu’il
porte en lui, l’enfant blessé qui peut ressurgir, la vie qui s’effrite
inexorablement, la mort qui en a déjà porté plus d’un en terre, le
regard qui bute sur un mur, un miroir, la solitude qui est là du début à
la fin, la mer qui remue d’étranges souvenirs, le cimetière grand
ouvert aux pas crissants des promeneurs de novembre
« novembre chaque année mord l’enfance
et vous ramène à la maison
tout près de vos peurs
un jour pour vieillir avant la nuit
nous allons au cimetière
je connais toutes les tombes
novembre mois des fatalités saintes
et des plaintes mal amenées »
et vous ramène à la maison
tout près de vos peurs
un jour pour vieillir avant la nuit
nous allons au cimetière
je connais toutes les tombes
novembre mois des fatalités saintes
et des plaintes mal amenées »
Si décousu est un ensemble en mouvement. On y sent battre le
cœur d’une œuvre qui compte. Et qui s’éclaire toujours un peu plus,
distillant ici et là ses indices à peine visibles mais néanmoins
détectables.
Ludovic Degroote : Si décousu, éditions Unes.
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