Prague 1941. Deux ans après l’invasion de la République Tchécoslovaque
par l’Allemagne nazie, Reinhard Heydrich, chef des services de sûreté
du Reich, est nommé gouverneur du Protectorat de Bohème-Moravie. Il
décrète immédiatement la loi martiale. Il entend faire régner l’ordre et
la terreur. Pour lui, l’un ne va pas sans l’autre. Goering lui a, par
ailleurs, demandé, deux mois plus tôt, de présenter un projet pour la
mise en œuvre de la « solution finale ». Le livre débute au moment où
Heydrich, grand mélomane, sort d’un concert et découvre, parmi les
statues qui sont alignées sur le toit de la Maison de l’art allemand,
celle du compositeur juif Mendelssohn.
« Soudain ses traits se tordirent dans une expression de haine et de
rage féroce. Comment était-ce possible ? Qu’est-ce que c’était que cette
saloperie ? Comment avait-il pu prononcer un discours dans un bâtiment
dont le toit s’ornait d’une statue immonde ? Quelle honte ! Quelle
humiliation ! »
Ordre est donné d’enlever sur le champ cette statue. Le problème,
c’est qu’aucune d’entre elles ne porte de plaque permettant de savoir
qui est qui. Il semble que le nouveau protecteur qui, en proie à une
colère froide, a déjà rejoint ses appartements, soit le seul à connaître
le visage de Mendelssohn. S’ensuit une série de tâtonnements pour le
moins burlesques. Dans l’expectative, les deux employés qui s’occupent
du déboulonnement choisissent le visage qui possède le nez le plus
long. Or, il s’agit de celui de Wagner. Leur supérieur consulte alors
« un juif savant » mais celui-ci s’avère incapable de le renseigner. Ce
qui lui vaut en retour d’être passé à tabac.
C’est à partir de cet incident cocasse (et avéré) que Jiří Weil
(1900-1960) a bâti son roman. Il lui a fallu dix ans pour parvenir à ses
fins. Il ne souhaitait pas livrer un témoignage de plus mais créer une
œuvre littéraire à part entière. Il suit la chronologie des événements
en faisant se succéder des épisodes où l’absurde côtoie la cruauté et
où rares sont ceux qui échappent à la férocité des nouveaux maîtres du
pays. Les moments, saisis sur le vif, sont des instantanés de la vie à
Prague sous occupation allemande. Heydrich a un but précis : la
déportation en masse des familles juives vers la ville-forteresse de
Terezin. Tous ses subordonnés le craignent et dans la hiérarchie nazie
un chef en a toujours un autre (qui le déteste et l’humilie) au-dessus
de lui. Cela Jiří Weil le rend palpable en maniant un humour mordant
très efficace. Il ne peut oublier la présence de la mort. Qui rôde en
permanence. Et qui, au final, happera beaucoup de ceux, personnages
réels ou fictifs, qu’il met ici en scène.
« La mort guettait dans des centaines de dossiers, dans des fiches,
des inventaires, des photos d’immeubles, de pavillons et d’usines. La
mort avait élu domicile dans les paraphes et les signatures, les sigles
et les abréviations, les tampons et les graphiques, une mort ordonnée et
bien tenue, dactylographiée sans faute sur du papier ministre et des
fiches de couleur. »
Elle va bientôt se déchaîner. D’abord avec l’assassinat d’Heydrich,
perpétré fin mai 1942 par un commando de résistants tchèques venus de
Londres, puis par les représailles qui vont suivre : des milliers
d’otages sont arrêtés et beaucoup d’entre eux condamnés à mort. Les
chapitres que Weil consacre à ces faits sont d’une intensité extrême.
Faisant partie des rescapés, il a, après guerre, travaillé au Musée juif
de Prague où il a organisé, entre autres, une exposition de dessins
d’enfants de Terezin. Son roman est précédé d’un texte paru en 1958, à
700 exemplaires, et qui n’avait jamais encore été traduit. Son titre : Complainte pour 77 297 victimes.
Les noms de celles-ci figurent sur les murs intérieurs de la synagogue
Pinkas de Prague. L’écrivain leur rend hommage à travers une série de
vignettes conçues à partir des documents qu’il a pu consulter sur place.
Mendelssohn est sur le toit, qui n’était plus disponible, est
un livre essentiel. Weil saisit de l’intérieur la réalité du génocide
en adoptant ce ton détaché qui l’aide à décrire le quotidien surexcité
des représentants de la horde nazie et celui des habitants (notamment
ceux du ghetto) qui résistent comme ils peuvent, certains de façon
remarquable en créant des réseaux et en cachant des enfants juifs.
Jiří Weil est également l’auteur de Vivre avec une étoile
(préface de Philip Roth, éditions Denoël, 1992). Poursuivi en tant que
communiste et surtout en tant que juif, il a survécu pendant la guerre
en parvenant à entrer dans la clandestinité grâce à l’aide d’amis
résistants.
Jiří Weil : Mendelssohn est sur le toit, précédé de Complainte pour 77 297 victimes, traduit du tchèque et présenté par Erika Abrams, Le Nouvel Attila.
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Tu donnes envie de lire ce livre, même si l'on devine l'horreur sous-jacente. L'humour tchèque a l'air présent. Ce q u'il y a de terrible c'est que cette période où règne la peur du covid19 est propice elle aussi à tous les dèbordements.
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