jeudi 24 février 2022

Mon plan

 Attentif aux présences invisibles qui frémissent tout autour de lui, le narrateur privilégie l’attente et l’immobilité. Il se tient aux aguets. Parfois, « une chose dans le monde en apparence tombe », sans faire beaucoup de bruit et en restant floue.

« L’apparence de la personne que je crois être est comme la miniature très étirée de celle que je ne connais pas encore. »

Cela se complique un peu. Il s’en réjouit. Il y a de la complexité dans l’air et donc du grain à moudre pour sa pensée. Il cherche sa place, une position idéale pour observer, la trouve, ou admet, tout au moins, que s’il est ici, à cet instant précis, c’est qu’il y a de fortes probabilités pour qu’il ne soit pas ailleurs. Mais il n’en est pas si sûr. Le monde, dont il perçoit constamment l’étrangeté, l’incite à croire qu’’il en existe un autre, peu connu, et qu’il y est étroitement relié.

« Je me sens proche d’où je suis, pourtant très détaché. »

Ses interrogations le portent vers les territoires du doute, de la nuance, de l’intuition et de la fragmentation. C’est dans ces sous-bois, éclairés par une lumière filtrée, celle des hautes branches de la réflexion, de la philosophie et de l’abstraction, que se promène Maël Guesdon. C’est là qu’il esquisse les contours d’un plan qui prend des allures de boîte à malices. Tous deux (le narrateur et son plan) entretiennent d’ailleurs d’étroites relations. Ils parlent de choses et d’autres, tout comme l’araignée le fait (sans doute) avec sa toile au sujet des insectes capturés ou sur le point de l’être.

« Je dis mon plan non qu’il m’appartienne mais j’y suis comme attaché, et lorsqu’il se brise, chacun de ses morceaux paraît contenir tout ce qui en lui m’échappe. »

Ce sont ces morceaux qu’il ramasse, polit, rassemble. Ils s’éparpillent fréquemment et cela dure depuis longtemps, parfois même depuis l’enfance, qu’il revisite, en se dédoublant légèrement, ce qui demeure, chez lui, une seconde nature.

« Je suis très détaché, limite flottant au gré de ce qui arrive. »

Partout où il va, l’araignée (ou son image, sa représentation) le suit ou le précède. Il n’a aucun mal à s’identifier à celle qui passe sa vie à réparer ce qui se défait et à s’isoler dans sa maison-garde-manger en maintenant son monde, celui dont elle tisse les parois à son échelle, à distance de l’autre, si vaste, si inquiétant, qu’elle sent vibrer jusque dans ses pattes.

« Je crois que je m’identifie plus facilement à la mouche qu’à vous, alors que, vous l’amenant, je me suis comporté davantage comme vous que comme la mouche. »

Maël Guesdon quadrille habilement l’espace qu’il s’est assigné. Pour ce faire, il s’empare de quelques fragments de son passé et de son présent, il brouille les pistes, questionne les contraires et observe, en changeant fréquemment d’angle de vue, ce qui lui est familier, ce qui coince, ce qui l’interroge, ce qui est absurde, logique, évident et ce qui l’est moins. On le surprend en train de dessiner des lignes d’approche, en une succession de blocs de prose, et on se dit que c’est peut-être là son plan (mais comment en être sûr ?). Et qu’il l’affine au fur et à mesure qu’il avance dans la construction de son livre.

Maël Guesdon : Mon plan, éditions Corti.

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