vendredi 22 mars 2024

Le Masque d'Anubis

Anubis veille sur les défunts mais n’hésite pas à s’inviter, quand bon lui semble, dans les pensées des êtres vivants. François Rannou a bien cru sentir sa présence à l’hôpital, lors d’une récente IRM. Tête enserrée dans une coquille, portant casque et masque de protection, il s’est demandé, ainsi attifé, si le facétieux maître des nécropoles ne se jouait pas de lui. Il n’en était rien, mais de cette séquence est né un poème auquel se sont greffés d’autres, liés à la fragilité de nos corps et à notre capacité à résister en allant chercher aide et harmonie là où elles se trouvent, dans les paysages, dans les gestes simples du quotidien, dans la remémoration de faits vécus avec intensité.

Ce sont ces moments, proches ou lointains, passés au chevet des autres (sa mère, son voisin Jean) ou tissés çà et là, au fil du temps, qui lui reviennent en mémoire et qu’il déroule posément, à chaque fois en un poème d’un seul tenant, discrètement narratif, ancré dans un lieu où apparaît une silhouette, puis un corps et enfin un visage qui porte, dans son expression même, bien des secrets.

« la lourde pierre qu’on pousse une fois pour toutes sur
ton corps est un nuage plus léger que le tulle sur
les seins de l’amie désirée ai-je dit en souriant il a
murmuré "dès que possible je retournerais voir la dame de Saint-Helen"
je l’ai vu pencher la tête sur sa tablette un bouquet de jonquilles »

Les soubresauts et les sautes d’humeur d’un corps qui, un beau jour, décide de ne pas répondre aux injonctions d’un cerveau peu habitué à ce genre de résistance, apparaissent dans les sinuosités d’un poème placé au centre du livre. Il est intitulé AVC ou l’irruption d’un autre alphabet.

« Du moins je crois c’était comme une huître et des
nuages qui se recouvraient j’ai senti qu’un ciel sur l’autre

retombait mollement jusqu’à ce premier geste tenté mouvement routinier
de la main quelle lenteur approximative l’esprit vaguement

délié n’a plus de prise sur rien s’essuyer les lèvres devient incompréhensible
des ondes courtes dans ma paume fourmillent de murmures »

Il y a de la douceur dans ce livre. Une quête d’apaisement pour conjurer tracas, tristesse et angoisse. L’une après l’autre, des fenêtres s’entrouvrent. Des tableaux habités apparaissent et se mettent en mouvement. Après les avoir extraits de sa mémoire, François Rannou les déroule avec lenteur, par fragments associés les uns aux autres, dans des paysages familiers, propices à l’évasion et à la réflexion, en une respiration bien posée. Il donne de la souplesse et une belle amplitude à ses poèmes. Il y ajoute une sensibilité discrète et maîtrisée.

François Rannou : Le Masque d'Anubis, peintures de Michèle Riesenmey, Éditions Des Sources et des Livres.

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