Pendant quinze mois, noircissant sans relâche, d’une écriture fine,
pas moins de cinq carnets, Jean-Pascal Dubost s’est penché sur la mort,
sur la place qu’elle occupe dans l’existence de ceux (nous tous) qui
savent qu’ils n’y couperont pas, sur ses façons de procéder, parfois
avec malice, en douceur ou avec cruauté, sur les phrases, qu’elle lui a
soufflé à l’oreille et sur celles qu’elle a auparavant inspiré à nombre
d’écrivains et de poètes. Il a collecté, inventé, assemblé ces mots,
réflexions, aphorismes, citations et lieux communs qu’il est bon d’avoir
à l’esprit, ne serait-ce que pour préparer, en toute humilité,
l’inévitable rencontre qui nous attend au tournant. Elle ne vient
qu’une fois, n’oublie personne, ne s’embarrasse pas de simagrées et
remet tout le monde à sa place en pratiquant le nivellement par le bas.
« La mort a une feuille de route très précise pour chacun.
Mort, qui accueille tous les humains de la même façon.
Mort, qui rend sa liberté aux asservis.
Mort, qui ne juge personne.
Mort, qui rend à chacun ce qu’il mérite : la mort.
Mort, qui réunit le meurtrier et sa victime.
Mort, qui fait chougner poètes et chanteurs.
Mort, qui ne fait rire personne.
Mort, qui est aux petits soins des humains.
Mort, qui garde tout, ne rend rien.
Mort, qui ne dévoile pas ses richesses.
Mort, qui ne fait pas semblant. »
Elle nous tient sous sa coupe, fière d’avoir déjà enlevé la vie à
108 milliards d’êtres humains. Elle débarque sans prévenir. Sonne
l’hallali et terrasse le bon vivant aussi bien que le moribond. Il lui
arrive d’être facétieuse. De rappeler quelques célébrités (y compris
religieuses) en des moments particuliers.
« Adrien IV, étouffé par une mouche dans son vin.
Bertrand du Guesclin, mort d’un abus d’eau glacé.
Paul II, mort en sodomie.
Pie IV, mort dans les bras d’une courtisane.
Francis Bacon, mort à cause d’un poulet farci à la neige.
Pie XII, mort d’une crise de hoquet.
Jeff Chandler, mort à cause d’un bistouri oublié dans son ventre.
René Goscinny, mort d’une crise cardiaque en plein test cardiaque.
Tennessee Williams, mort étouffé par le bouchon d’un tube de médicament.
Le cardinal Daniélou, mort d’épectase dans les bras d’une courtisane. »
Des centaines de phrases, dictées par la mort, et par l’emprise
qu’elle exerce jusque sur le vocabulaire usuel, s’empilent, reliées
entre elles par celui qui « exerce le métier de vivre » à temps plein en
forêt de Brocéliande. Leur nombre et leur brièveté donnent un rythme
haletant et une belle densité au livre. Le bon sens populaire y a toute
sa place. L’acceptation d’un final en queue de poisson est quasi
générale, ce qui n’exclut pas quelques pieds de nez adressés à la
faucheuse. Qui ne s’en émeut pas.
Si la mort lui en laisse le loisir, Jean-Pascal Dubost aimerait
« mourir sans agonie », si possible « au pied d’un chêne » et « aux
côtés d’un sanglier ». Il regrettera quelques amis chers et tous les
animaux qu’il considère comme ses frères mais sûrement pas les humains
qui, siècle après siècle, tuent par milliers ou par millions en
multipliant guerres, massacres de masse, attentats, assassinats et
génocides.
« Je vais mourir, les morts, faîtes à moi un peu de place, je n’en prendrai pas beaucoup, je vais mourir ; »
De nombreux poètes et écrivains décédés circulent dans les Phrases de la mort.
Leur départ fut surprenant, anodin, prévu, inopiné ou préparé de
longue date. Certains ont devancé l’appel, d’autres ont résisté jusqu’au
bout. Tous ( Villon, Pirotte, Laude, Mallarmé, Merlen, Léopardi,
Laporte, du Bouchet, Corbière, Autin-Grenier, etc.) reviennent saluer,
brièvement, leurs futurs congénères, autrement dit tous les vivants, et
on les espère nombreux, qui ne peuvent que se sentir concernés par ce
livre.
Jean-Pascal Dubost : Phrases de la mort, dessins de Hervé Bohnert, lecture de François Boddaert, L'Atelier contemporain.