Jean-Paul Bota peut se promener avec la même aisance, la même ardeur,
heureux d’y passer des heures, dans un paysage comme dans un tableau.
Ce poète curieux, jamais rassasié, ne se déplace pas sans avoir un
carnet à portée de main. Il y note ce que son regard lui dicte mais
également ce que sa sensibilité, alliée à une mémoire en éveil, lui
transmet. Quand il n’arpente pas musées ou galeries, il sillonne les
rues des villes qui lui sont chères ou s’immerge dans des livres qui
comptent également beaucoup pour lui. Ce sont des centaines de fragments
extraits de cette grande déambulation à la rencontre des autres, ou
tout au moins de leurs œuvres, qu’il donne à partager dans ce nouveau
livre.
On le suit de Londres à Lisbonne en passant par Nantes, Chartres ou
Venise. Partout, il trouve ce qu’il cherche. Des pépites qui ne sont
parfois que des détails qu’il capte dans une toile et qui,
instantanément, lui rappelle une scène antérieure ou un épisode de la
vie d’un peintre. Se créent ainsi des liens entre ce qu’il voit, ce
qu’il ressent et ce qu’il sait. Sa connaissance des uns, des autres,
n’est jamais étalée mais au contraire discrètement distillée dans des
séries de proses ou (plus rarement) de courts poèmes qui emportent le
lecteur là où il n’a, la plupart du temps, jamais mis les pieds.
« L’enterrement de Soutine, parmi les rares personnes qui
accompagnent Marie-Berthe Aurenche (elle dit) accompagnant le cortège
funèbre, parmi les rares personnes, Max Jacob, lequel sera arrêté
quelques mois plus tard et mourra à Drancy, et Picasso. D’après Mlle
Garde présence de Picasso Cocteau et Michonze »
Le livre devient au fil des pages une mosaïque qui s’agrandit
démesurément, attirant le regard, lui demandant d’exercer son acuité
tout en lui permettant de se reposer. De nombreux extraits de textes
introduisent la lecture de ces « exercices sur des lieux » qui ouvrent
une multitude de fenêtres. Toutes donnent sur des espaces de vies, de
paysages, de lumières. Jean-Paul Bota, qui les entrouvre délicatement, y
met également un peu de son être intérieur et, secrètement, quelques
bribes d’un passé qui se revivifie en se frottant au présent.
« Les bulletins de salaire auréolés de Vieux Papes
Sur la toile cirée
La lumière comme envieillie
De l’ampoule
Quelqu’un referme les volets
Dans la cuisine humide
C’est proche un poêle à charbon
Avec une odeur de peau d’orange brûlée
Et le chahut d’un couvercle dessus la casserole »
Sur la toile cirée
La lumière comme envieillie
De l’ampoule
Quelqu’un referme les volets
Dans la cuisine humide
C’est proche un poêle à charbon
Avec une odeur de peau d’orange brûlée
Et le chahut d’un couvercle dessus la casserole »
Les suggestions sont omniprésentes et les passerelles entre
littérature et peinture multiples. Le lecteur y chemine à son rythme.
Souvent avec lenteur. En faisant, à l’instar de l’auteur, de fréquents
retours en arrière. Pour revoir, ajouter, préciser. Toucher avec tact ce
qui parfois (dans un tableau, un livre) semble se dérober pour mieux
nous interpeller.
Jean-Paul Bota : La boussole aux dires de l’éclair, éditions Tarabuste.