Il a toujours son sac à dos, sa musette, ses carnets vierges et son
bâton de marche à portée de la main. Prêt à prendre la route, le train,
l’avion pour aller rencontrer d’autres contemporains, d’autres paysages,
d’autres personnalités. C’est un chasseur de primes d’un nouveau genre.
Un type armé d’un stylo qui, s’étant porté candidat pour séjourner en
qualité de résident dans tel ou tel lieu, en ville ou à la campagne, et
ayant été retenu, s’en va gagner sa croûte en tentant de faire entrer
(et parfois vibrer) la poésie çà et là. Ce peut-être à Montréal, à
Sékou, à Vénissieux, à Rennes, dans le Jura, au Mont Noir (dans la
villa Yourcenar) ou ailleurs. Partout, il a un contrat à remplir. Des
classes à éveiller. Des ateliers d’écriture à animer. Des textes à lire.
Et des nouveaux à écrire. Des bibliothécaires à côtoyer. Des liens à
tisser. Des sentiments à moduler ou à refréner.
« Le chasseur de primes ne doit pas s’attacher à son employeur, ni au
pays qui l’héberge, sous peine de troubles affectifs et de manques trop
prégnants. Il risque de baisser sa garde et de ne plus prospecter
l’univers en quête d’autres horizons. Alors, il jongle avec l’absence,
ironise tendrement sur la précarité des sentiments. »
Il a auparavant exercé d’autres métiers. Ils furent pour la plupart
manuels. Il connaît bien les usines et les zones industrielles. Ce n’est
qu’en l’an 2000, après avoir été salarié pendant près de vingt-cinq
ans, qu’il a décidé de se consacrer uniquement à cette activité qui ne
cessait de le presser, au point de devenir de moins en moins partageuse.
« Écrivain au caractère ouvrier et sans statut particulier, je
cherche toujours un salaire chaque mois, mais c’est plus difficile. »
C’est son parcours de résident itinérant qu’il donne ici à découvrir.
Il s’attache aux bienfaits et aux aléas de sa mission. Sa sensibilité,
sa générosité et son humilité traversent le livre. Ce choix de vie,
qu’il sait ne pas pouvoir tenir sur du long terme, il l’assume et s’en
explique. Il ne se plaint pas. N’ai pas du genre à pleurnicher. Préfère
pousser un coup de gueule s’il le faut. Et faire valoir ses droits.
C’est une façon d’être très saine qu’il nous fait partager. Il dit ses
espoirs, ses angoisses, son envie de se nourrir au contact des autres et
sa disponibilité parfois vacillante, sa difficulté à être là alors
qu’il se sent ailleurs, ses envies de silence alors qu’il doit parler...
« Je cherche dans l’écriture le passage qui pourrait me libérer. J’ai
déjà passé beaucoup de temps à cette entreprise. Rien en vue. Je ferais
donc comme tout le monde, un tas de papiers pour l’esprit du vent ! »
Joël Bastard
avance tel un compagnon du tour de France qui part ponctuellement, muni
d’outils simples mais efficaces, fabriquer des passerelles
immatérielles pour quelques uns, quelques unes, qui ne se seraient sans
doute pas réunis, à telle heure, à tel endroit, si, invité par
d’autres chasseurs de primes (ou plutôt de subventions), il n’avait pas
fait le déplacement pour favoriser la rencontre.
Joël Bastard : Chasseur de primes, éditions La Passe du vent.
Joël Bastard : Chasseur de primes, éditions La Passe du vent.
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