On entre dans le livre avec les oiseaux. Il y en a peut-être mille.
Ils n’ont pas de noms. Ce sont simplement des oiseaux. Ils incitent à
regarder en l’air. À oublier un instant l’abyssal puits intérieur. À ne
pas ouvrir en grand la boîte aux questions. Certains sont vrais.
D’autres font semblant de l’être. Ce sont d’étranges objets volants. On
les distingue à peine. On dirait des brindilles qui voltigent. Des corps
promis au dépiautage, consonnes et voyelles comprises. Pour y trouver
des bouts d’os. Du cartilage fin. Des ailes avec rabats. Des prunelles
colorées. Des boules de plumes avec bec et gésier minuscules.
« Tous nos os ont les mêmes noms. Oiseaux à têtes tièdes et ainsi
sont-ils nus et alignés. Sur le devant de l’eau nous les voyons et avons
obtenu du temps que le sang suinte. Un sort est scellé encore ? Un peu
de glaire va de leur pus à ces plaies visibles là ? On dirait. »
La plupart d’entre eux sont happés par le vide. Ou bien zigouillés
par une main invisible. En tout cas, le ciel les aspire. Bientôt, il
n’en reste qu’un. Il est suivi à la trace par un qui se nomme « il »,
ou « je » ou « on ». Celui-là (qui semble souvent se dédoubler) porte
en lui des tas de questions insolubles. Il les pose. Les dissémine au
fil du texte. Et le fera plus encore quand l’ultime oiseau disparaîtra.
« On cache qu’on est ici. C’est privé. Ce sera de la poésie à
l’étroit. À l’usage de l’œil et de la main. De ceci la fin qu’on a
vue. »
Comme toujours, aujourd’hui avec Revers et l’an passé avec Avers
(les deux livres se répondent et les trois séquences qui composent l’un
et l’autre possèdent les mêmes titres) la mécanique Quélen, unique en
son genre, tourne à plein régime. Elle vibre d’une belle intensité. Son
tempo saccadé (fait de phrases courtes, d’incises brèves) offre un
rythme imparable – et ô combien prenant – à l’ensemble. Chaque bloc de
prose a sa propre densité. Il est taillé dans le vif. S’insère dans des
dizaines d’autres blocs qui, s’emboîtant, forment le corps vivant du
livre.
« Un individu est souple. Bon. Le traitement sera du langage. Son
langage est une offre semblable ou non et on le retire de là en
l’excluant d’un accès au corps. À l’action ou à une. Pourrir la vie est
l’idée. Oisive, légère. Et pourquoi pas traduire ici ou à un mètre ! Ce
travers pend et se réduit à une voix sans rien. Truc sans voix. Serrure
avec la clé de travers. Matière vouée à s’être traduite elle-même çà et
là. Mort oisive qui est la vie. Bien. Voilà une élégie. Un os à ronger.
L’accès de poésie de l’étui qui retire son contenu. Ou l’âne qui offre
en bon langage son oreille. Du bon traitement. Strict. Souple. Un deux
en un ! »
L’écriture est de bout en bout nerveuse et tendue. Celui qui laisse
sa pensée questionner son monde intérieur scrute les objets, les
choses, les à-côtés, les gestes, les riens du quotidien. Sa poésie y
trouve refuge et matière. Elle est méticuleuse, physique, nourrie de
signaux lumineux, sinuant entre le jeu et l’incertitude, passant
constamment d’un état à un autre, de l’inquiétude au burlesque ou de
l’angoisse à la clairvoyance.
Dominique Quélen : Revers, Éditions Flammarion
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