Après avoir évoqué dans Je rêve que je vis ?,
son précédent (et premier) livre, les quatre mois qu’elle passa à
Bergen-Belsen, Ceija Stojka revient dans ce nouvel ensemble sur cette
période mais aussi sur les années d’avant-guerre et sur ce que fut sa
vie après la libération du camp par les anglais en avril 1945.
« Nous les Roms, en 1939, on était encore libre de voyager avec un
cheval et une roulotte en Autriche. Ma mère à l’époque avait trente-deux
ans, mon père aussi. Nous étions six enfants, la sœur aînée, Mitzi
avait tout juste quatorze ans, ensuite il y avait ma sœur Kathi de douze
ans, mes deux frères, Hansi, onze, et Karli, huit, notre petit dernier,
Ossi, en avait quatre, et moi-même, Ceija, six. »
Très vite, les Roms n’auront plus le droit de sa déplacer. Peu après,
les enfants seront interdits d’école et les rafles commenceront. Le
père sera le premier déporté. Il mourra à Dachau en 1943. Le reste de la
famille se retrouvera à Auschwitz, où le petit Ossi succombera au
typhus.
« J’ai vu l’endroit où l’infirmier l’emmenait, c’était une baraque
plus petite que les autres, il l’a posé sur les autres morts. Je l’ai
recouvert avec mon maillot de corps que j’avais enlevé. (Comment je
pourrais oublier ça ?) »
Si les récits de Ceija Stojka sont poignants, ils restent toutefois
empreints d’une grande humanité, dans un monde qui en manquait
cruellement. Elle dit la dureté, les coups, la faim, les déplacements
d’un camp à l’autre mais également les liens forts qui existaient entre
ceux et celles qui tentaient de survivre dans cet enfer et la foi
chrétienne qui leur permettait souvent de tenir bon.
Après la libération, le retour à Vienne ne sera pas facile. Il leur
faudra, à elle et à sa famille, comme à tous les Roms, vivre à l’écart
et changer fréquemment de lieu en n’étant jamais vraiment acceptés. Elle
s’en souvient avec une impressionnante précision. C’est toute sa vie
d’après qu’elle retrace dans ces pages. Elle le fait en racontant son
itinéraire. Mère de trois enfants, elle survit en vendant des tapis sur
les marchés et en parcourant l’Autriche. On suit son quotidien, son
histoire au fil du siècle et son attachement au monde rom qu’elle décrit
ouvert, bienveillant, féru de fêtes chaleureuses où se mêlent chants,
musiques et danses. On la voit se démener pour le bien de ses enfants,
notamment pour Jano, batteur au sein du groupe Gipsy Love (où son frère
Harri est bassiste) qu’elle sait sous l’emprise des drogues et qui
mourra d’une overdose.
« Il fallait que je continue ma vie. Je sais que je quitterais cette
terre seulement quand j’aurai parcouru toute la longueur de la route
éternelle, là où mon fils Jano m’attend dans sa taille normale. Je
marche et je rampe, pas à pas sur cette route, jusqu’à ce que Jano me
tende la main. »
Ce dont ne se doute pas Ceija Stojka – qui est également peintre –
en témoignant ainsi, guidée par la documentariste Karin Berger (qui
l’aura accompagnée – et souvent enregistrée – tout au long de son
travail), c’est l’impact qu’aura son livre à parution, en 1988. Sa
force, la fraîcheur de sa voix, le sens du détail, sa façon de dépasser
l’anecdote pour aller à l’essentiel et la lucidité qui émane de ses
textes y sont pour beaucoup. Elle deviendra rapidement l’ambassadrice de
la communauté rom en Autriche et bien au-delà.
Le livre publié par les éditions Isabelle Sauvage est une somme
importante – et unique en France – pour bien saisir le parcours et
l’œuvre de Ceija Stojka (1933-2013). Préfacé par Karin Berger (qui signe
également un très beau témoignage en fin d’ouvrage), il se compose de
plusieurs récits, d’un cahier de 19 photographies, d’entretiens et d’une
bio-bibliographie complète.
Ceija Stojka : Nous vivons cachés, récits d’une Romni à travers le siècle, traduit de l’allemand par Sabine Macher, éditions Isabelle Sauvage.
Une exposition, "Ceija Stojka, une artiste Rom dans le siècle", s'est récemment tenue à La Maison Rouge à Paris.
Une exposition, "Ceija Stojka, une artiste Rom dans le siècle", s'est récemment tenue à La Maison Rouge à Paris.
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