Les photos et les vidéos défilent. Emmanuèle Jawad les observe, les
détaille, écrit ce qu’elle voit. Son regard s’arrête sur les murs de
séparation qui prolifèrent d’année en année et qui visent à barrer
l’accès à de nombreux territoires. Elle se tient à cette réalité. Se
poste devant. Pas de pas de côté possible.
« Il est interdit de sortir il est interdit de rentrer une logique
unilatérale sécuritaire et renforcée de nouveaux murs un renforcement de
l’ensemble tout un système de murs existants en projet des plans
officiels il fabrique des passeports clandestins sans visage par la
frontière les collines des zones désertiques une construction
unilatérale un renforcement sécuritaire »
Ces blocs parfois surmontés de barbelés, de fils électriques ou de
morceaux de verre fichés à même le béton et dotés de caméras thermiques
ne peuvent être décrits que de façon clinique, avec des mots
rudimentaires, issus d’un lexique restreint, des mots fonctionnels et
interchangeables qui disent une réalité brute et glaçante.
« la caméra fixe un personnage en hors-champ plans larges véhicules
traversant le champ un à un montagnes climats pierreux filmer ne pas
filmer un mur métallique parois à stries métal bords plans lents de
circulation intérieure mouvements et déplacements »
Emmanuèle Jawad a conçu son livre en s’appuyant sur des documents visuels (photographies de Bruno Boudjelal et de Josef Schultz,
installations plastiques, vidéos, films) . Elle transmet, à l’aide de
courts collages, ce que l’image déclenche en elle. Le cadrage est
strict. Le béton mange la lumière. Des fragments purement descriptifs
s’assemblent. Ils auscultent un paysage obstrué. Une zone de non-droit.
Le montage qui intervient ensuite fait apparaître (tout au moins dans
la première partie du livre) un texte court en haut de page et en bas
l’implacable liste des murs de séparation dressés un peu partout sur la
planète, avec les dates de construction et les longueurs.
Ce qui se passe de part et d’autre de ces murs n’est pas dit mais
cela est évidemment bien plus que suggéré. Il en va de même pour les
photos. Au lecteur de les imaginer.
« le mur n’est pas filmé on enregistre les visages on écrit le mur de
longs mouvements sur les dispositifs de surveillance les récits
anonymes les forces répressives »
Emmanuèle Jawad : [carnets de murs], Lanskine
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