« Ensuite je suis parti à la recherche de mon enfance », écrit Franck Venaille dès la première phrase de L’enfant rouge.
Le livre est ancré au cœur du onzième arrondissement, là où il a
grandi, et plus particulièrement dans la rue Paul Bert. Il confie, en un
monologue intime et intense qui court sur une centaine de pages, ce que
furent ses premières années dans ce quartier populaire. Il le fait en
suivant les pas de Moi de onze ans, le gamin qui apparaissait déjà, en 2003, dans Hourra les morts !
C’est ainsi qu’il se pose, s’installe dans une époque, celle
d’après-guerre, pour sillonner les rues en piochant dans sa mémoire.
« Je me nomme Franck Venaille et je sais que mon enfance m’attend dans cette rue Paul Bert proche si proche du Bazar rouge que je salue. Ça. Je me souviens parfaitement de ce vaste entrepôt que, de mémoire, je situe entre la rue de Cîteaux et le faubourg Saint-Antoine. On communiquait d’un étage à l’autre par un large escalier en colimaçon. »
Il se réapproprie la géographie des lieux, revoit l’école communale
de garçons de la rue Titon, les élèves Frankel et Klugman (qui ont, par
miracle, « échappé aux convois »), la bibliothèque Forney, la cave qui
servait de refuge pendant les bombardements, des silhouettes qui
sortaient d’une brasserie et d’autres qui s’évaporaient derrière les
portes cochères.
« J’avance lentement. Je connais les richesses installées derrière
chaque porte cochère. Il existe une grande logique mentale chez Moi de onze ans. On pourrait même se demander si, très jeune, il ne s’est pas voué à la recherche du point extrême de la douleur. »
Il découvre le monde, circule dans les rues, prend un peu d’âge, s’initie à la lutte des classes, vend l’Huma Dimanche,
fréquente les militants, s’interroge, apprécie surtout l’attitude de
l’Italien Enrico B., « véritable fruit rouge, celui qui a compris que
c’est le peuple allié aux autres forces politiques progressistes qui
fait la révolution ». Il écoute, se forge ses propres convictions, se
heurte aux « cardinaux rouges », les gardiens de la doctrine, lit
beaucoup, surtout Baudelaire, écrit, se lie d’amitié avec un merle qu’il
nomme Avril et qui l’accompagne dans ses périples.
« Alors je mène le combat et je dis : ne laissez pas les merles noirs
être, par le chagrin, traversés. Protégez-les. Oui, que quelqu’un
s’engage à lutter. Tel un Partisan. Je porte une grande douleur à l’âme,
répète encore Avril. Ma sensibilité est blessée. J’ai vu des hommes qui
longeaient les murs de l’hôpital. C’était au petit jour. Et j’ai
ressenti quelque chose qui ressemblait à la souffrance. »
Si Moi de onze ans grandit et bouge dans le temps, il reste
néanmoins toujours tapi dans la tête de l’homme Venaille. Qui poursuit
sa route en lui décochant des clins d’œil complices. Le livre s’arrête
au moment où il lui faut monter « dans l’un de ces lourds camions
militaires » qui l’emporte en Algérie.
« La rue Paul Bert est un chant triste dans le soir. On y joue
des airs qui font frissonner. Longuement. Et l’homme des colères
imprévisibles sort de sa poche une image le représentant, enfant. Moi ! À
onze ans. Dans une page consacrée aux écrivains. »
Tout l’univers de celui qui n’aura jamais cessé d’observer « la
multitude de nuages cachant la vie réelle » se retrouve ici. Il y a son
lyrisme percutant, le réalisme qu’il y instille, sa mélancolie, ses
étonnements, ses révoltes, ses engagements, ses longs arpentages des
quartiers déshérités et son indéfectible lien à l’enfance. L’angoisse se
fait discrète. Elle viendra plus tard. L’enfant rouge, publié quelques semaines après la mort de son auteur, n’est pas seulement le dernier livre de Franck Venaille, il est aussi celui des commencements.
Franck Venaille : L’enfant rouge, Mercure de France.
Bel article de Josse. Il y a d'assez longues citations, c'est important car on peut ainsi avoir une idée de l'écriture de Venaille.
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