Habiter un lieu, un espace, y faire halte de façon éphémère ou s’y
poser durablement, n’est pas une mince affaire. Celui ou celle qui
s’installe ne le fait pas inopinément. Auparavant, il a fallu chercher,
tourner autour, dénicher le bel endroit. On y porte son corps, son
passé, ses envies, ses rêves et des projets d’occupation, de partage et
d’équilibre qui ont été longuement pensés et façonnés. C’est autour de
cette vaste question – où, comment habiter (une maison, une chambre, une
cabane, un appartement, etc.) – que Sereine Berlottier (avec ses
textes, poèmes et proses) et Jérémy Liron (avec les reproductions de ses
peintures) ont bâti leur livre. Fait de « traces et de trajets », il
incite plus au nomadisme qu’à l’ancrage définitif. Et c’est cela qui le
rend passionnant.
Son architecture est judicieuse. Aux façades, éléments de paysages,
boîtes aux lettres, fenêtres perchées, vitres floues, gouttières,
rambardes, portes de garage ou intérieurs presque vides (où dominent
une palette de jaune et de belles nuances de vert) peints par Jérémy
Liron répondent les cinq textes de Sereine Berlottier.
« S’il m’arrive de rêver à une maison inconnue, n’est-ce pas que je
lui délègue des facultés d’accueil, une certaine disposition au bonheur,
qui en ferait, sans que je puisse en définir plus longuement les
contours, un lieu approprié, non pas tant au sens d’une possession qu’à
celui d’une justice, d’une justesse, un lieu pour la paix, la
respiration du corps et de la pensée, lieu favorable pour moi et ceux
qui me sont proches ? »
Ses 144 fragments pour habiter, où sont assemblés pensées,
réflexions, rêveries, extraits de lecture et souvenirs personnels,
disent combien la notion d’habiter est délicate. Elle revient sur
plusieurs épisodes de sa vie. Revoit les lieux où elle a vécu. Sait que
dans certains d’entre eux, où elle ne retournera jamais, se trouve
toujours une part d’elle-même. Quelques chambres, maison d’enfance,
vieille ferme, appartements et bureaux logent ainsi dans sa mémoire. Et
d’autres, rencontrés en rêves, au hasard d’une lecture ou d’un article
de presse, lui ouvrent d’autres portes, l’invitant à élargir son champ
d’investigation.
« Crise du logement, « mal logement », il me semble que ces mots
tiennent étrangement à distance ce dont ils témoignent. Misère, malheur,
vie dans l’inhabitable, inhabitable vie, serait-ce plus juste ? »
Son regard s’avère aiguisé, sensible et pertinent. Elle se réfère
régulièrement à ceux qui ont beaucoup exploré le sujet. Leurs présences
(notamment celles de Perec et de Bachelard mais également de Calvino et
de son Baron perché qui se réfugie dans les arbres) sont autant
de fenêtres qui éclairent un livre qui devient, lui aussi, à sa
manière et au fil des pages, une maison habitée.
Sereine Berlottier et Jérémy Liron : Habiter, traces et trajets, éditions Les Inaperçus.
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