Antonio Tabucchi était son ami. Et c’est tout naturellement à Lisbonne,
où ce dernier avait élu domicile, que débute le livre de Roberto
Ferrucci. L’écrivain monte dans le tramway numéro 28 – qui n’est pas
sans lui rappeler le vaporetto numéro un qu’il prend régulièrement quand
il se déplace chez lui, à Venise – et traverse la ville pour se rendre
au Cimetério dos Prazeres, où sont les cendres de l’auteur de Nocturne indien et de Pereira prétend.
C’est un rendez-vous chargé d’émotions qui l’attend dans la chapelle
des écrivains portugais. Le lieu est paisible et restreint. C’est là que
se trouve l’urne. C’est là aussi que les souvenirs les plus prégnants
reviennent. Roberto Ferrucci les laisse venir. Il ne brusque rien. Il
suit les méandres de sa pensée, bouge avec elle, redonne vie à des
moments intimes en s’effaçant presque. Il se remémore ainsi leur
dernière rencontre, en juillet 2011, « c’était dans un jardin, celui de
sa maison, à Vecchiano », son pied à terre en Italie.
« Tabucchi porte un polo bleu et un bermuda beige, il est pieds nus
et, quelques secondes plus tôt – je comprends en voyant la chaise en
osier poussée sur le côté –, il était assis devant des feuilles
imprimées, deux, couvertes de corrections faites à la main. Il
m’embrasse, une tape sur l’épaule, il s’excuse et me demande si je peux
attendre, il doit finir de corriger un article, que je lirais deux jours
plus tard dans la Repubblica. »
Cette rencontre lui en rappelle une autre, au même endroit, en août
1990, quand il se présenta devant sa porte avec son mémoire de maîtrise (Le nouveau roman italien : Daniele Del Giudice, Antonio Tabucchi) sous le bras.
Et peu à peu, ce sont d’autres souvenirs, d’autres rendez-vous (à
Venise, à Paris, à Pise), des discussions par téléphone (reliant en une
seconde deux hommes, l’un à Lisbonne, l’autre à Trieste ou l’un à
Vecchiano, l’autre à Saint-Nazaire) qui affleurent. Ce sont ces moments
fragiles et intenses – avec à chaque fois le clin d’œil malicieux du
hasard en embuscade – que Roberto Ferrucci réactive avec tact,
dessinant, en un livre plein de vie, de couleurs et d’escales, un
remarquable portrait intime d’Antonio Tabucchi.
« En ce qui me concerne, je ne fais pas confiance à la littérature qui tranquillise les consciences.
C’est cela que m’a enseigné Antonio Tabucchi, il m’a appris à être
libre. C’est cela qu’il enseigne à tout le monde, à chaque ligne de ses
livres. »
Roberto Ferrucci : Ces histoires qui arrivent, traduit de l’italien par Jérôme Nicolas, éditions La Contre Allée.