S’il n’est pas besoin de connaître Gênes pour circuler dans l’ouvrage
que Benoît Vincent consacre à la ville, il est, par contre, difficile de
ne pas succomber à l’envie de s’y rendre après lecture. Son exploration
des lieux incite réellement à la découverte. Il s’y promène en un
texte foisonnant, mêlant érudition, notes précises, cartes postales,
escapades en Ligurie, incursions dans la baie, parcours multiples et
évocations d’écrivains, de peintres, de navigateurs et d’hommes célèbres
dont les traces restent ancrées dans la longue mémoire de la ville.
Il avance dans sa quête en s’adressant au résident qui l’accueille.
Tout l’intéresse. Ponts, quartiers, églises, monuments, pionniers,
fantômes, cimetières, plages, chants, hôpitaux sont présents. Tous
chuchotent des secrets qu’il convient de capter. Pour mieux se perdre
dans la complexité d’une ville qui s’ouvre à la mer tout en maintenant
un contact étroit avec la montagne.
« Mais quand tu débarques dans une ville inconnue, n’es-tu pas pris
de vertige par la variété des noms locaux, et très vite perdu dans leur
lecture, leur nomination sur les plans, les réseaux de transports, les
panneaux, les bouches des gens ? Il faut accepter de se perdre pour
circuler. »
Se perdre pour mieux inventer ses propres points de repères. Qui
tournent autour de la géographie, de l’histoire, de l’architecture et
des nombreux symboles que recèle la cité. Parmi eux, il y a La Lanterna,
« lanterne plus dédiée au ciel qu’à la mer », phare qui semble
s’amuser à couper des parts de Gênes à la nuit tombée et au chevet
duquel les peintres Rubens, Poussin et Van Dyck ne comptèrent pas leurs
heures.
On le sait, c’est de ce port que Christophe Colomb (qui y était né)
s’embarqua pour l’Amérique. C’est ici, plus récemment, qu’eurent lieu
les émeutes et violences policières du G8 en 2001. Ici également que
l’on a désossé le Costa Concordia, ce paquebot qui s’était empalé
sur des récifs au large de la Toscane un vendredi 13. Des séquences que
Benoît Vincent mentionne (entre quelques centaines d’autres, bien plus
lointaines dans le temps) au fil de ses pérégrinations dans l’un des
plus grands et plus anciens ports d’Europe. Lieu de départ pour de
nombreux italiens.
« Il y eut les Mille de Garibaldi qui partirent de Quarto et vinrent
conquérir cette terre nouvelle qui serait la République italienne. Il y
eut les centaines de milliers de migrants qui s’embarquèrent à Gênes
pour le monde entier, principalement les deux Amériques (New York City
et Buenos Aires en tête). »
Cet ensemble – que l’on peut arpenter en empruntant plusieurs
itinéraires – n’a évidemment rien du guide touristique. C’est d’abord
un ouvrage foisonnant, conçu par un curieux qui ne cesse de noter ses
étonnements, de questionner ce qu’il découvre d’une ville trop riche
pour qu’on puisse n’en faire qu’une lecture linéaire. C’est à une
marelle étonnante, à une imparable parade oulipienne, à une savante
déconstruction (pivotant autour du chiffre 9) que s’adonne Benoît
Vincent, en inventant Gênes au pluriel, et en invitant le lecteur à en
faire de même.
"C’est un texte à part, dans mon travail, qui n’a pour autre ambition que d’accepter de se perdre. Une autogéographie."
Benoît Vincent : GEnove GE9, éditions Le Nouvel Attila / Othello.
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