Paul Le Jéloux est décédé en fin décembre 2015 à l’âge de soixante ans.
Il était l’auteur de trois recueils de poèmes marquants, tous publiés
aux éditions Obsidiane, dans lesquels on décelait une voix claire et
posée, empreinte de douceur et de précision mais pouvant également se
montrer âpre et tranchante. C’est ce même timbre, ce sont ces mêmes
variations de tons que l’on retrouve dans ce quatrième et (probablement)
dernier livre. Il y aura travaillé durant une bonne décennie. C’était
son rythme. Il l’avait adopté et initié avec L’exil de Taurus en 1983, suivi par Le vin d’amour en 1990 et Le sang du jour en 2001.
Ce qui étonne chez lui, c’est la profusion d’images qu’il parvient à
assembler en un seul poème. Il le fait en partant d’un détail, d’un
animal entrevu, d’un souvenir, d’une émotion relayés par un imaginaire
qui se heurte parfois à la réalité d’un être en recherche de stabilité.
« J’ai la tête malade », dit-il au détour d’un vers, préférant
poursuivre le cours d’une matinée agitée en regardant ailleurs.
« J’abrite un arbre, j’ai des raisons de croire à mon phénix.
C’est vraie foison, cette déraison. Les marronniers sont un peuple de citronniers.
Le peuplier régit la table d’hôtes. L’extrême lenteur des cèdres
toujours m’insupporte. J’y vois un mal, j’en ai bien peur.
L’envol des cailles m’effraie chaque fois qu’il fait noir et nul. »
C’est vraie foison, cette déraison. Les marronniers sont un peuple de citronniers.
Le peuplier régit la table d’hôtes. L’extrême lenteur des cèdres
toujours m’insupporte. J’y vois un mal, j’en ai bien peur.
L’envol des cailles m’effraie chaque fois qu’il fait noir et nul. »
On perçoit çà et là des fragments d’autobiographie et des retours en
arrière, notamment dans la douceur de l’enfance, « aux yeux de cendre »,
où la nostalgie n’intervient qu’a minima, très vite supplantée par
l’appel du présent et l’attrait de tel paysage qui l’aide, inopinément, à
sortir de lui-même pour s’y frotter et, peut-être même, s’y régénérer.
C’est là la force de Paul Le Jéloux.
Ce besoin de se donner de l’air en sortant de soi procure une grande
densité à ses poèmes, d’ordinaire assez longs, qui puisent dans
l’infiniment proche pour s’ouvrir au monde.
« Toujours nous revenons, vivons la solitude,
soulevés dans une tempête à sable d’étoiles, dans le verbe et l’ivresse. »
soulevés dans une tempête à sable d’étoiles, dans le verbe et l’ivresse. »
Tout ce qui vibre et bruisse attire son attention. Et il en va de
même pour les choses plus statiques qui fondent son quotidien, l’ancrant
dans un pays qui parfois l’exaspère. Il y a le muret, le calvaire
couvert de mousse, le talus qui menace de s’effondrer, les ardoises qui
luisent sous la pluie, le Dieu que l’on interpelle (il le fait aussi) en
espérant calmer quelques douleurs... C’est un décor de Bretagne, là où
il vivait, qui semble immuable. Il l’arpente, lui murmure ses
incertitudes, le transforme en y ajustant quelques scènes sorties d’un
vieux conte, d’une légende ou tout simplement d’un rêve qu’il revisite.
« La patrie est exacte, étouffe, est à rayer,
gonfle dans l’intime, le retourne comme crêpe avec un cri de crapaud
la patrie se renouvelle sans cesse avec clairons, lit d’hôpital,
ciel bleu chez les autres. La rue, c’est là à traverser,
je n’ai pas de frontière ou de boussole dans les reins de sa nuit
la patrie, c’est tous les jours un voyage forcené
qui déroute des cadavres de lueurs, les revenants, mes proches. »
gonfle dans l’intime, le retourne comme crêpe avec un cri de crapaud
la patrie se renouvelle sans cesse avec clairons, lit d’hôpital,
ciel bleu chez les autres. La rue, c’est là à traverser,
je n’ai pas de frontière ou de boussole dans les reins de sa nuit
la patrie, c’est tous les jours un voyage forcené
qui déroute des cadavres de lueurs, les revenants, mes proches. »
La voix de Paul Le Jéloux vient de loin. Elle porte parfois en elle
des bribes dues à ceux qui ne peuvent plus s’exprimer. Elle s’ouvre
constamment. C’est une voix rare et lumineuse.
Paul Le Jéloux : Le jardin sous l’ombre, éditions Obsidiane.