À la fin de Petite vie, son précédent roman, qui lui-même succédait à Bas monde,
Patrick Varetz laissait Pascal Wattez, son double, en proie à ses
premiers émois sexuels. Il les vivait en compagnie d’enfants de son âge.
Il avait alors dix ans. C’était peu après mai 1968. Il découvrait
l’inconnu des corps et cela le sortait momentanément de l’étouffoir
familial, ce huis clos insensé qui était le sien depuis son plus jeune
âge, coincé entre son « salaud de père » et sa « folle de mère ».
On le retrouve vingt ans plus tard. Début des années 1990. L’emprise de ses géniteurs ne s’est pas vraiment desserrée.
« Je demeure sec, privé de l’essentiel, égaré à l’endroit du cœur, le
ventre habité par une fringale idiote. Le nez enfoncé entre les
oreillers, il me suffit de relever le front pour – aussitôt – entendre
aboyer mon salaud de père. »
Il vit seul. Travaille pour Blanc, un type qui le paie bien, qui se
balade entouré de gens branchés, qui lui demande – l’appelant parfois en
pleine nuit – de rédiger des textes pour vanter les qualités de tel ou
tel produit. L’argent (liquide) coule à flot mais le narrateur s’en
fout. Les billets, il les disperse, les abandonne entre les pages de ses
livres et les oublie. Il adopte la même méthode avec les feuilles
bleues que les huissiers glissent régulièrement sous sa porte. Les
impératifs matériels le rebutent. Il ne règle pas ses factures. N’ouvre
plus sa boîte aux lettres. Connaît l’apathie sur le bout des doigts.
S’ankylose, se laisse aller. Vit par intermittences. Un jour au présent.
Et le suivant au passé, se souvenant qu’à 17 ans, il a réussi à
s’extraire de l’univers parental, partant à l’aventure et usant de
psychotropes pour égayer un quotidien foutraque.
« Un sentiment de vide, impossible à contenir, s’élargit brutalement
en moi. Je ne démontre aucun courage. L’exemple calamiteux de mes
parents me laisse inachevé, entre deux âges, et je perds pied à mesure
que je crois m’éloigner d’eux. Il n’y a guère qu’envers les psychotropes
que je développe un semblant d’assiduité. »
Écrire des textes de commande l’aide à occuper sa tête et ses
journées mais son corps n’y trouve pas son compte. Il aimerait bien
exulter et assouvir ses pulsions. Le souvenir de Claire, amie qu’il n’a
pas revu depuis longtemps, le hante. Une nuit, il l’appelle sur un coup
de tête, lui laisse un message maladroit. Auquel elle répondra quelques
jours plus tard. Déclenchant une rencontre. Puis une autre, et
d’autres encore. Ce sera le début d’une irrémédiable et vertigineuse
descente. Le grand vide qui les habite tous deux va les aspirer vers le
bas. Dérégler définitivement des mécaniques déjà mal en point. La folie
rôde. Claire va disjoncter après quelques mois de vie commune. Leurs
ébats sexuels, à la fois crus et rugueux, pratiqués dans des lieux
improbables (y compris à la clinique, en tenant d’une main la potence de
la perfusion) ne seront pas de ceux qui apportent équilibre et
apaisement.
Au delà de l’histoire – rude – il y a l’écriture. Et celle de Patrick
Varetz est étonnante de maîtrise. Ses phrases courtes claquent et se
succèdent, alimentant une narration tendue qui se maintient en
permanence sur la crête de la vague. Elle ne se désunit jamais. Venant
du ventre et des tripes, elle est soutenue par une langue exigeante,
riche, nerveuse, extrêmement convaincante.
Patrick Varetz : Sous vide, éditions P.O.L. (224 pages, 15 €)
"Le Matricule des anges" a consacré la une et le dossier de son N° 180 (février 2017) à Patrick Varetz.
"Le Matricule des anges" a consacré la une et le dossier de son N° 180 (février 2017) à Patrick Varetz.