Peu avant de mourir, Jean Vodaine avait émis le vœu de voir à nouveau édité Les chants de Yutz, livre qu’il avait lui-même réalisé sur sa presse en 1961 mais dont il ne possédait plus un seul exemplaire. Philippe Marchal, l’animateur et maître d’œuvre de la revue Travers et Claude Billon, poète discret et ami fidèle lui avaient alors promis de tout faire pour que ce vœu devienne réalité.
Quelques années plus tard, pari tenu, l’ensemble, « achevé d’imprimer hors toute saison », est à l’image de ce que concoctait et concevait Vodaine du temps où il publiait les autres dans sa revue Dire (1962 – 1984).
Les chants de Yutz sont des poèmes en prose où l’auteur capte de brèves séquences qui trouvent en lui une caisse de résonance à la hauteur de ses émotions. Il y est question de sa ville bien sûr (située près de Thionville) mais également des hommes, du travail, des hauts-fourneaux, du paysage minier, de la mort omniprésente, de la mélancolie, de l’exil, de l’exploitation, du dur à vivre... Autant d’éléments que Vodaine connaît et vit au jour le jour, autant d’accroches qui trouvent également racines dans son passé et qui peuvent parfois coexister dans un même texte. Il aime laisser sa pensée filer. Cela ouvre de singuliers automatismes. Qu’il interrompt, cependant, dès que l’égarement guette.
« Yutz, quelle drôle de cavalcade, ces rires, ces patois, cette enfance déchirée à chacune de tes ronces où seul l’instinct de vivre servait de loi. Si je marche aujourd’hui sans rien voir dans tes rues, à l’ombre ou au soleil, ce n’est qu’à titre posthume. »
Ces proses vives et écorchées ne démentent jamais leur titre. Chants en quête d’oralité, nés là « où le ciel tire la Moselle sous le bleu des ponts », ils se frottent à l’acier et se situent au cœur du monde ouvrier, celui de Jean Vodaine et de ses amis. Certains d’entre eux (parmi lesquels Jules Mougin) figurent dans la « géographie de portraits » tracée par le photographe Pierre Verny. Celle-ci accompagne l’ensemble, livraison n° 57 de la revue Travers augmentée de gravures rouges et noires de Philippe Marchal et d’une épatante lettre de Claude Billon. Tous deux ont travaillé de concert pour que ce livre existe. Mission accomplie et pensée jusqu’en ses moindres détails. Rien n’est laissé au hasard. Papier, caractères, couleurs, mise en page et couverture formant boîtier en attestent.
Outre l’écriture, (Travers avait déjà publié les Contes de mon Haut-Fourneau dans son n° 50), Vodaine c’est évidemment aussi le dessin et la gravure, une œuvre étonnante et dispersée, à découvrir.
Logo : Le Buveur de bière, gravure de Jean Vodaine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire