Il s’appelle Tomás. Il a douze ans. N’a pas de père mais un beau-père
plus ou moins violent, une mère qu’il trouve trop pleurnicharde et une
petite sœur, Diana, (prénommée ainsi en hommage à la princesse morte)
qu’il adore plus que tout. Il habite à Madrid, de l’autre – du mauvais –
côté du périphérique, avec ceux qui, faute de mieux, glandent,
galèrent, boivent, chapardent, cognent, traficotent. C’est dans cet
espace de non-droit, situé au cœur d’un chantier abandonné suite à des
malversations immobilières, que l’on a retrouvé, pendu à un échafaudage,
le corps de Lucas, le gamin le plus calme, le plus réservé et le plus
solitaire de cette bande d’enfants esseulés dont il était peu à peu
devenu le souffre-douleur et à laquelle appartenait aussi Tomás.
Celui-ci en a gros sur la conscience. Il lui faut dérouler le fil des
événements qui ont eu lieu ce jour-là.
C’était au mois d’août, dans une chaleur torride. Il était aux
premières loges. A tout vu. Pourrait le dire de vive voix mais préfère,
pour ne rien oublier, poser les faits tels qu’ils se sont déroulés en
s’en remettant à l’écriture.
« Moi, je pense que sur le papier, si j’arrive à tout écrire sur des
lignes bien droites, une chose après l’autre et sans faire de ratures,
j’y verrais plus clair. Parce que quand j’essaie de me souvenir, ça me
fait comme avec les images de certains films, pas moyen de les revoir
dans sa tête comme on voudrait, mais elles reviennent sans arrêt quand
on s’y attend le moins. »
Ce qu’il a à dire n’est pas simple. Il lui faut convoquer tous les
protagonistes de l’histoire. En commençant par le Zurdo, le caïd, le
héros du coin, grand frère de son pote Martín. C’est à ce type qui a
déjà tâté de la prison, et qui roule des mécaniques dans le quartier,
que tous les gamins de la zone aimeraient ressembler.
« En fait, le zurdo nous défendait toujours : un jour il a même tuer à
coups de pierres un chien qui avait mordu Martín à l’épaule. »
Mais le zurdo, après la découverte du corps de Lucas, est
appréhendé dans un bar, amené sur les lieux du drame et embarqué,
menottes aux poignets. Antonio, le flic véreux qui sévit dans les
parages, le soupçonne de meurtre.
« C’était plus le même, le Zurdo, il était mort de trouille, lui qui
était un vrai courageux, lui qui n’avait même pas bronché quand il
s’était fait faire son tatouage sur la joue gauche. Mais cette nuit-là,
quand on l’a amené, il gémissait à chaque gifle que lui donnait Antonio,
le policier, le mari de Rosa, la boulangère. »
On apprendra, à la fin de la confession de Tomás, les circonstances
exactes de la mort de Lucas. Des aveux terribles et glaçants qui
n’interviendront qu’aux dernières pages de ce roman mené de main de
maître par Isabel Alba.
Son écriture est dense et lumineuse. La façon avec laquelle elle
parvient à rendre évidents les mots, le vocabulaire et la voix déjà rude
d’un gamin qui a grandi trop vite est d’une implacable précision. Il
en va de même pour les portraits croisés et les personnalités
tranchées de tous ceux qui sont au centre de cette histoire. Baby spot
est un roman grave et incisif. Il est traversé par un réalisme finement
ciselé. C’est, de plus, un monologue incandescent. Qui parle vrai et
juste.
Isabel Alba : Baby spot, traduit de l’espagnol par Michelle Ortuno, éditions La Contre Allée.
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