lundi 13 janvier 2020

Visages vivant au fond de nous

D’un naturel discret, ne cherchant le plus souvent sa part de lumière qu’en lui-même, Michel Bourçon apprécie tout particulièrement le crépuscule, ce moment où l’intensité du jour baisse, découpant au ras des pavés humides, sous le halo des réverbères, des silhouettes indécises. Les visages sont alors à peine visibles. S’ils glissent inévitablement dans le flou de la nuit, il leur arrive pourtant de rencontrer auparavant, en une fraction de seconde, le regard de celui qui arpente le même trottoir au même instant. Il n’en faut pas plus pour qu’ils entrent en lui.

« Sous les réverbères
notre ombre nous suit
puis nous précède
cherche à connaître
ce que l’on porte en soi
tandis que nous marchons
sans que nous en sachions davantage »

Ce qui est vrai le soir peut l’être aussi à d’autres heures du jour, et même de la nuit, non seulement en ville mais également au bord du fleuve, le long d’un champ, à l’intérieur d’un café ou dans le roulis de la mémoire. Ce sont ces moments brefs, qui vibrent avec plus ou moins d’intensité, dans un lieu assez précis, que Michel Bourçon parvient à saisir.

« la ville dont la fenêtre
encadre un détail
offre un tableau changeant
avec les variations de la lumière
les gorges chatoyantes des pigeons
qui arpentent les places et les trottoirs
les voitures rutilantes stationnant
dans la perspective aérienne des avenues
où au loin s’éloignent les passants
au sein des dégradations de couleurs
où tout se fond parmi le neutre
dans l’impasse du soir. »

Quand il se sent en proie à une forte montée de mélancolie, il évoque volontiers les oiseaux. Leur légèreté l’aide à s’alléger. C’est que la fatigue, certains soirs, pèse lourd. Et certains matins aussi. « On fait le plus dur en se levant », dit-il. Notant cela, il pointe une évidence qui n’est pas anodine. Il y a, çà et là, une sorte de gravité existentielle dans ces poèmes qui ne s’appuient pas seulement sur l’acuité d’un regard porté vers l’extérieur. Ils trouvent également leur assise en lui. Dans ce dedans habité qui ne se dévoile qu’avec parcimonie.

« chacun sur son îlot de solitude
captif de lui-même
porte son fardeau de questions
espère au soir
l’amour en futaille
et pour aller dormir
des mots assemblés en bouquet. »

Michel Bourçon, Visages vivant au fond de nous, illustrations de Jean-Gilles Badaire, éditions Al Manar.

De Michel Bourçon, récemment parus : Tout contre rien (un ensemble de proses brèves, « une gravitation dans l’intime » ) éditions Vibrations, et Source des vents (« textes légers comme les passereaux, pour tenter d’être au plus près des choses »), éditions du Cygne.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire