Elle marche dans la ville depuis longtemps tout en la redécouvrant constamment. Elle la voit bouger, changer et s’adapter, pour le meilleur ou pour le pire, et note, à chaque promenade, ce qui attire son attention. Ce sont les fragments de ses récentes déambulations qu’elle assemble dans ce livre fait de courtes proses, débutant toutes par le terme « jusque ». Chaque texte, ancré dans un décor précis, est ramassé avec en son centre des personnages en mouvement qui ne sont autres que les habitants des lieux, certains d’entre eux, les plus précaires, n’étant manifestement pas les bienvenus.
« L’on voudrait de l’international mais pas celui du tiers-monde ou des sans-papiers ».
Le regard de Fabienne Swiatly se pose souvent sur des êtres que beaucoup font semblant de ne pas voir, tels ces hommes « courbés sur leur vélo, sacs à dos chargés de victuailles », devenus porteurs de repas à domicile qui en croisent d’autres en quête d’un banc où s’allonger, un lit de fortune non séparé en deux par une barre ou, un peu plus loin, d’autres encore, glaneurs, glaneuses qui, en fin de marché, récupèrent fruits et légumes destinés au camion-benne.
« Jusque sur le parvis de la cathédrale où la lumière se libère enfin des rues étroites. Les voitures cherchent à se faire une place sur l’esplanade malgré l’interdit. Au pied de l’immense porche, des jeunes aux chiens sans laisse boivent à même la bouteille d’alcool acheté dans un hard discount. Ils rejouent la scène ancestrale des misérables attendant la générosité des fidèles attirés par la croix. »
Elle n’écrit pas pour décrire le paysage mais pour détecter ce qui bouge dedans, ce qu’il dissimule parfois, ce qu’il subit aussi quand des architectes peu inspirés le balafrent dans les grandes largeurs. La ville qu’elle donne à voir est celle d’aujourd’hui, celle de l’air enfumé, des cubes de béton qui s’empilent, des valises à roulettes qui cliquettent sur les trottoirs, des hélicoptères survolant les manifs, des joggeurs contrôlant leur rythme cardiaque, des agents de sécurité en alerte, des visages cachés sous les capuches, des caméras qui observent, des trottinettes qui filent à toute allure avec à bord un passager droit comme un i porté par l’électricité ambiante. Autant de cartes postales toniques et singulières qui montrent comment le cœur d’une ville ne peut battre sans la présence, l’apport, les vibrations de tous ses habitants, aussi différents soient-ils.
Fabienne Swiatly : Jusqu'où la ville, éditions le clos jouve.
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