samedi 16 octobre 2021

Quelque chose de ce qui se passe

C’est en partant d’une citation de Berthe Morisot : "mon ambition se borne à vouloir fixer quelque chose de ce qui se passe", que François de Cornière a choisi le titre de ce recueil qui rassemble des poèmes écrits en 2018 et 2019. Comme elle, il sait qu’à défaut de pouvoir s’emparer des innombrables moments qui défilent au quotidien, il faut se contenter de n’en garder que quelques uns, tous porteurs d’une sensation, d’une impression, d’une émotion.

« J’avais lu ces lignes dans l’exposition
nous y étions allés ensemble
cette belle matinée d’août.

Et voilà qu’aujourd’hui
deux mois plus tard
je cherche à rendre
ce qui s’était passé pour moi ce jour-là. »

Il laisse sa mémoire travailler. Consulte, entretemps, les notes brèves qu’il a jetées sur son carnet, ou celles qui attendent dans "sa boîte à questions positives", ou encore celles qui mijotent dans l’un de ces "petits sacs d’émotions" qu’il garde en réserve. C’est de ces éléments épars que peut naître le poème. L’essentiel est donc de ne pas les laisser filer. Observant ce qui se passe alentour, et qui parfois se répercute en lui, il demeure aux aguets, "en état de poésie" comme le disait son ami Georges Haldas dont il va d’ailleurs visiter la tombe au cimetière des Rois à Genève (où reposent aussi Borgès et Alice Rivaz).

« Georges Haldas 1917-2010 écrivain » :
Une pierre dressée
pas de dalle pas de fleurs
aucune limite sur l’herbe
mais un chat juste posé sur la stèle
un chat noir un peu maigre un peu long
comme ceux qu’on voit partout en Grèce »

Ces voyages entre passé et présent, qui lui permettent de revoir des poètes qui l’ont jadis accompagné (Gaston Miron, Guillevic, Luc Bérimont, Georges Mounin) et de refaire un bout de route avec eux ont à voir avec la relativité du temps (que l’ont peut remonter), celui d’une vie jalonnée de rencontres, sans pour autant glisser vers la nostalgie. François de Cornière regarde, il est à l’écoute (y compris de sa mémoire, de ses pensées) et en attente d’un déclic. Tout l’intéresse : une phrase entendue, une silhouette au bord de l’océan, une réflexion, une émission de radio, la voix d’un chanteur, d’une chanteuse, une lecture prenante, "des bouts d’idée dans le paysage" ou d’autres disséminés sur le bitume d’une autoroute... Sa poésie, simple, faite de séquences brèves, apaisées, tristes, gaies, anodines, graves ou légères, jaillit de ces moments qu’il réactive. On y retrouve cette capacité d’étonnement qui procure à ses textes une indéniable fraîcheur.

« Pourquoi dans les mots simples
d’une parole entendue dans la rue
des petits cadenas demandent
qu’on les ouvre.

Ils vous donnent une clé
ils vous disent :
à vous de vous en servir
il faut aller plus loin
au fond des mots
au fond de vous
aller plus loin. »

Les chemins qu’il emprunte dans son livre lui sont familiers. Ils sont tracés en bordure d’océan, là où il vit, où il nage, où il pêche, où il attrape aussi – avec des leurres qu’il fabrique lui-même – des poèmes qui, façonnés à sa main, deviennent des instantanés de vie à découvrir, tels des carnets de bord tenus par un homme qui donne de ses nouvelles en parlant souvent des autres.

François de Cornière : Quelque chose de ce qui se passe, Le Castor Astral.

 Du même auteur, vient de paraître, réédité en poche chez le même éditeur, l’épatant et captivant  Boulevard de l'océan, suite de chroniques estivales écrites « lors de deux mois de juillet, à la fin des années 1980 », publiées d’abord par fragments dans la NRF (du temps de Jacques Réda) puis chez Seghers en 1990 et au Castor Astral en 2006. Préface de Yves Leclair, postface de François Bott et dessins de Valérie Linder.

 

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