Sa vie fut brève (avril 1846 - novembre 1870), son œuvre ne comporte que deux titres : Les Chants de Maldoror, publié à compte d’auteur sous le pseudonyme de Comte de Lautréamont en 1869 et le second, Poésies I et Poésies II,
(deux fascicules – avril et juin 1870 – qui seront ensuite rassemblés),
signé de son vrai nom, Isidore Ducasse. De lui, ne subsiste qu’une
photo, découverte plus d’un siècle après sa mort. Il est né à Montevideo
et mort à Paris Son corps est enterré dans une fosse commune du
cimetière Montmartre. De son vivant, il n’eut que de rares lecteurs et a
laissé peu de traces hormis ses textes. Tous ces éléments, mis bout à
bout, réduisaient ses chances d’accéder un jour à la postérité, d’autant
que les exemplaires des Chants de Maldoror, imprimés en
Belgique, ne furent mis à la vente, de façon confidentielle, (dans une
librairie Bruxelloise) qu’en 1874 avant d’être réédités à Paris en 1890.
Et pourtant, un siècle et demi après la disparition du poète, l’œuvre
de Lautréamont /Ducasse est toujours bien vivante. Présente,
déconcertante, fascinante, iconoclaste, elle interroge des générations
de lecteurs. Elle est étudiée, analysée, commentée, recommandée. De
nombreux ouvrages lui sont consacrés. Des historiens et des chercheurs
s’en emparent, qui ne peuvent s’en séparer, y trouvant sans cesse de
nouvelles pistes à explorer. Henri Béhar est l’un d’entre eux. Son
parcours (il a édité les œuvres complètes de Roger Vitrac, de Tristan
Tzara et d’Alfred Jarry), sa connaissance des avant-gardes, en
particulier le surréalisme et Dada, qu’il étudie depuis des décennies,
ainsi que son regard vif et pertinent s’avèrent précieux pour nous
guider, avec méthode et efficacité, dans les méandres créatifs d’un
alchimiste du verbe qui n’appartint à aucune école.
Rien ne lui échappe de l’étonnant parcours des Chants de Maldoror
qui ne seraient jamais parvenus jusqu’à nous si quelques poètes, et non
des moindres (Jarry, Soupault, Breton, Aragon, Tzara), ne les avaient
repérés, les sortant de l’oubli, y puisant de quoi alimenter leur propre
cheminement poétique et se relayant pour qu’ils perdurent. Auparavant,
en 1885, les poètes de "La Jeune Belgique", faisant la même découverte,
avaient alerté leurs amis symbolistes français et Remy de Gourmont fut
d’emblée séduit par ces Chants qui détonnaient et donnaient un sacré coup de fouet à la poésie qui, jusqu’alors, n’avait jamais encore vibré de la sorte.
Henri Béhar a lu les nombreux essais, études et préfaces consacrés aux Chants de Maldoror et aux Poésies.
Il entreprend ici une analyse fouillée (soulignant ses accords ou ses
réserves, y ajoutant ses convictions) des différentes approches d’une
œuvre qui a toujours suscité débats et passions. Il avance
chronologiquement, débute par la vie et le cheminement du poète, (grand
lecteur, au courant de tout ce qui s’écrit, ne supportant pas plus le
romantisme que le lyrisme souffreteux), s’arrête sur l’édition de ses
textes, poursuit avec leur réception critique et passe ensuite à leur
découverte par ceux qui vont la faire connaître et, souvent s’en
inspirer, en particulier Philippe Soupault, qui a vraiment sorti
Lautréamont de son long purgatoire, en 1917.
« J’ai rencontré Philippe Soupault à la fin de l’année 1962. Je
venais de soutenir un mémoire sur "l’Esprit Dada", le premier du genre à
l’université, et lui-même achevait le chapitre "Les pas dans les pas"
pour le recueil Profils perdus, qui devait paraître aux éditions
du Mercure de France en mars suivant. Il me dit alors quel effort cela
avait représenté, pour lui, de retrouver l’état d’esprit exact qui
l’animait, avec ses amis, une quarantaine d’années auparavant. »
Aragon, a, lui aussi trouvé en Lautréamont un précurseur littéraire qui l’accompagnera tout au long de sa vie.
« Philippe Soupault fut le premier d’entre nous à posséder un exemplaire des Chants.
Il nous le prêta et c’est dans un décor invraisemblablement maldororien
que nous le lisions, Breton et moi, l’un à l’autre, à tour de rôle, à
haute voix. »
Nombreux sont ceux qui furent bousculés par ces Chants (comme
le souhaitait d’ailleurs leur auteur) et qui, surtout, ne se contentant
pas du simple plaisir de la lecture, voulurent la prolonger en
s’intéressant de près aux effets que ces proses produisaient sur eux.
Il est impossible de les mentionner de façon exhaustive mais Henri
Béhar, au fil de son ouvrage, précis et remarquablement documenté, prend
le temps de s’arrêter sur chacun d’entre eux, d’entre elles (de Guy
Debord à Marcellin Pleynet en passant par Julia Kristeva, Sollers, Le
Clézio et beaucoup d’autres)) en démontrant, exemples et citations à
l’appui, combien l’écriture d’Isidore Ducasse peut agir comme un aimant,
capter l’attention (voire même l’imaginaire) de qui décide de
s’immerger dans ses proses.
« Pour nous, il n’y eut d’emblée pas de génie qui tint devant celui de Lautréamont. » (André Breton)
Henri Béhar :
Lumières sur Maldoror,
Classiques Garnier,, bibliothèque de littérature du XX ième siècle.