Il note ce qui, dans le paysage, se donne à voir et dit l’émotion, la
réflexion ou le souvenir que cela déclenche instantanément en lui. Ce
sont la plupart du temps des réalités familières. Des choses anodines.
Mais qui bougent et que son regard affûté saisit au vol. Il en fait
son miel quotidien. Son matériau préféré est là, toujours à portée de
vue, tout en n’étant visible que par intermittences. Ce sont, pêle-mêle,
et entres autres, le point de l’aube, les derniers feux du jour, un
tapis de feuilles mortes, les empreintes de roues d’un tracteur,
l’oiseau de passage, l’avion qui laisse une traînée grise dans le ciel,
etc.
Il choisit, à chaque fois, un angle d’attaque très précis. S’empare
d’un détail. Qu’il va travailler en orfèvre pour parvenir, en un tour
de passe-passe dont il a le secret, à le faire entrer dans une prose
brève, subtile, concise.
« Le soleil va finir. Ce ciel qu’on crut transparent va tourner à
l’ombre, à l’invisible. C’est la vie usée par les heures, les attentes.
Trop d’encre maintenant, et l’on perd la face et la douceur du lavis.
Seul le bord du lac est tiède encore des soleils perdus... »
Il ouvre en permanence des brèches dans ce qui paraît simple et
évident. Et du coup, ça l’est beaucoup moins. Il y ajoute son grain de
sel. Qu’il polit et qu’il glisse dans les rouages. Il sait qu’il est bon
que le poème se mette parfois, lui aussi, à boiter. À l’image de la
mémoire, du corps et du temps présent.
« Tombe le soir... L’esprit capitule. Récapitule. Tu ne verras plus
tes fautes jusqu’à demain. Tout s’estompe, se dilue. Les arbres tiennent
la toile de la tente. Je mets une petite laine pour me protéger des
fraîcheurs de l’oubli. Même dans la chambre éclairée, la nuit
m’absout. »
Jean-Claude Martin cerne ces instants fragiles qui, d’ordinaire,
nous échappent. Il les fixe en de courtes séquences – qui sont autant
de promenades intérieures – où il questionne à sa manière (autrement dit
sans attendre de réponse) la teneur (bienfaits ou désagréments) de
l’aube, de l’eau, de la neige, des ombres, des routes, du vent, du soir,
de la nuit, en maintenant les êtres humains un peu en
retrait.
Jean-Claude Martin : Que n’ai-je, Tarabuste éditeur.