La limite ici évoquée est celle du corps. Qui ne va pas bien. Qu’il faut
tenter de soigner, de retaper. En s’engageant dans un processus à
l’issue incertaine. Un long cheminement qui n’a pas simplement à voir
avec la mécanique physique. La tête accuse également le coup mais cela
n’altère en rien sa vivacité. Elle cogite. Ressasse. Balance entre
acceptation et doute. Et s’en remet aux mots qui, bien que pris eux
aussi dans la nasse de ces années difficiles, demeurent, dans leur
fragilité même, les seuls à pouvoir baliser la route.
« ce ne sont pas les mots qui manquent
ils sont là comme des bulles
pétillent
dans la lumière de septembre
presque joueurs
sans avant ni après libres
presque »
ils sont là comme des bulles
pétillent
dans la lumière de septembre
presque joueurs
sans avant ni après libres
presque »
C’est à une « graphie de vie plus ou moins vide selon les jours
parfois seulement meublés par l’attente » qu’Antoine Emaz décide de
recourir. Pour dire, pour tenir. Pour graver la fatigue, la peur, les
regrets (de devoir peut-être tout laisser en plan), la tristesse, la
monotonie des jours et la lenteur des nuits à même la page. En employant
des mots brefs, effilés, affûtés. En une écriture sèche, tranchante.
« s’habituer à la fin
une vie retourne à la vie
quoi craindre
même si ça crie »
même si ça crie »
Il y a une lutte sourde, intérieure, qui se dévoile à peine, ne
s’autorise que de simples questionnements, souvent sans réponses,
tournant autour du moment présent et de sa précarité tout en restant
attentif à ces petits riens, en d’autres temps anodins, qui soudain
rattachent à la vie et donnent un certain relief au quotidien.
« dans ces moments
la poésie peut passer par
une brise qui bouge l’herbe
un soleil pâle
une main tendue
la poésie peut passer par
une brise qui bouge l’herbe
un soleil pâle
une main tendue
on entend le bruit d’une machine à laver
le tic-tac d’un réveil
comme de l’encore vivant »
le tic-tac d’un réveil
comme de l’encore vivant »
On ne détecte pas la moindre plainte. Tout au long du livre domine
une grande pudeur. Dictée par une extrême retenue. Le recours aux mots
est essentiel. Non pas pour filtrer le mal, l’intrus, l’empêcheur de
vivre normalement mais pour donner corps à ce qui continue d’exister, de
penser, de réfléchir, de créer et de s’ouvrir. Consciemment, ou pas,
de nombreuses métaphores marines parsèment l’ensemble.
« on voudrait tenir encore la barre
la barque est déjà partie
sa voile est noire ou blanche »
sa voile est noire ou blanche »
ou encore
« dans le roulis de l’air
pesant de nuit
une épave bois flotté
qui se défait dérive dans l’eau verte »
pesant de nuit
une épave bois flotté
qui se défait dérive dans l’eau verte »
Ailleurs, le corps s’en va, tel un radeau, sous « la coque renversé
du ciel ». Celui-ci est également souvent sollicité. Pour son bleu
intense qui peut aspirer et initier à l’apesanteur.
Antoine Emaz n’avait pas publié de poèmes depuis la parution de Plaie
(éditions Tarabuste) en 2010. Ceux-ci, graves et saisissants, vont de
l’été 2013 à l’été 2015, dernière période durant laquelle semble pointer
un léger apaisement
Antoine Emaz : Limite, éditions Tarabuste.
Antoine Emaz : Limite, éditions Tarabuste.