« Il ne pense plus qu’à ça, il en parle tous les jours »
Il quitte sa famille, arpente les routes, frappe aux portes des monastères. Partout où il se présente, à Soligny ou à Neuville-sous-Montreuil, on le refoule, à cause de son trop jeune âge, de sa santé fragile, de sa dévotion dévorante. À chaque fois, il revient chez ses parents, à Amettes, dans le Pas-de-Calais, reprend ses études, se fortifie et repart, marchant sans relâche, jour et nuit, souvent sous la pluie, à l’assaut des trappes, des lieux fermés, des cellules où il espère s’adonner à la prière, oublier son corps, prier et communier.
« Il voulait de l’amour, quelque chose d’intense, d’éternel. Mais sans lui : il voulait disparaître dans cet amour. Il n’avait aucun prix à donner pour sa peau. Il voulait s’effacer. »
Cet homme habité par une foi trop grande pour lui, c’est Benoît Labre, le "vagabond de Dieu" qui quittera bientôt sa famille pour ne plus jamais revenir, se rendant d’abord, après ses premiers échecs, à l’abbaye de Sept-Fons, près de Moulin, où on l’accepte enfin et où il devient moine en prenant le nom de frère Urbain.
« Mais là tout recommence. Il ne veut pas manger, à peine dormir. Quand il a le moindre moment de libre il est à la chapelle. Il a des crises de larmes quand il pense aux pécheurs. Il n’a pas envie de travailler, ne saisit pas toutes les règles de la vie en commun. »
Les moines finissent par le renvoyer. Il est à nouveau sur les routes. Il descend vers le sud, rejoint l’Italie où les monastères sont nombreux mais où aucun ne veut de lui. Il se retrouve à Rome, fait de longues haltes dans les églises, décide de participer à tous les pèlerinages, part à Lorette puis retourne à Rome, va à Assise, à Naples, au mont Cassin, quitte l’Italie, prend le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, en cours de route se recueille dans les sanctuaires et retourne ensuite vers Rome.
« Il marche. Il marche en chantant, sous la pluie, sous le grand soleil. Il dort dehors.
Il n’a rien. Il mendie à peine. Des gens lui donnent un peu de pain, un peu de légumes cuits, ça lui suffit. Il refuse tout le reste ; quand on lui donne des sous, il les passe à d’autres. »
C’est cet exalté à la foi incommensurable, fragile et sensible, apparemment doux mais dur avec lui-même, que suit Guillaume Marie. Son récit est vif, bref et prenant. Il s’est rendu sur les lieux où l’inlassable pèlerin a passé les six dernières années de sa courte vie (1748-1783), dans les ruines du Colisée, en compagnie des malades, des mendiants, des prostituées, des sans-abris, il a visité, rue des Serpents, l’endroit où Benoît-Joseph Labre s’est éteint, au domicile du boucher Zaccarelli et les églises (dont celle de Sainte-Marie-des-Monts où il est enterré) où l’on honore sa mémoire.
« Il prenait parfois en pitié les bourgeois. Il savait qu’ils étaient incapables d’aller sur son chemin, ou même de voir que ce chemin existait. »
L’écriture sobre et dépouillée de Guillaume Marie touche à l’essentiel. Sans fioriture, s’appuyant sur une documentation précise, il dessine le portrait d’un grand solitaire qui aura marché, prié et suivi jusqu’à l’épuisement l’invisible "tout puissant" qui, disait-il, le guidait.
Guillaume Marie : Je vais entrer dans un pays, éditions Corti.
Parmi les nombreux textes littéraires qui ont été consacrés à la vie de Benoît Labre (qui fascina, entre autres, Paul Verlaine et Germain Nouveau), impossible de ne pas citer le Saint Benoît Joseph Labre d’André Dhôtel, publié en 1957 (éditions Plon) et aujourd’hui disponible en collection poche à La Table Ronde.