La voix de Monchoachi (André Pierre-Louis) ne vient pas seulement de la
montagne Vauclin, là où il vit, en Martinique. Elle prend source et
souffle bien plus loin, dans l’espace et le temps, dans les profondeurs
de la terre ou dans celles de l’océan, au contact des mémoires, à
l’écoute des éléments, dans le scintillement d’un rai de lumière ou dans
le tranchant d’une ombre coupante. Elle s’emplit du roulement des
cascades. Elle s’associe aux murmures des morts. Elle n’oublie pas ce
qui se transmet et passe par faune et flore... En réalité, cette voix
en capte d’autres et s’en nourrit pour prendre forme polyphonique. Elle
porte une parole multiple, scandée, qui déjoue – et transcende – celle
ordinairement proférée par le seul être humain.
« Il faut chuchoter sans cesse avec les morts, il faut
Sans cesse leur parler
Ils sont là autour de nous, merveilleux conteurs
Accordés à faire grincer et bruisser le destin
Dans les gorges sombres des bambous
Dans les langues de l’arbre musicien. »
Sans cesse leur parler
Ils sont là autour de nous, merveilleux conteurs
Accordés à faire grincer et bruisser le destin
Dans les gorges sombres des bambous
Dans les langues de l’arbre musicien. »
Convoquant mythes et rituels ancrés et activés puis réactivés au fil
de différentes cérémonies, et ce dans des lieux du monde qui savent
encore perpétuer et renouveler ce qu’ils doivent aux ancêtres, il
replace l’homme au milieu de tout ce qui respire à ses côtés. L’eau, la
pierre, la terre, les choses (et la mort même) vivent et s’emboîtent
dans un ensemble où tous les éléments, tous les souffles, toutes les
périodes d’un temps plus vaste que celui connu et morcelé par l’homme
s’accordent pour trouver une unité. Celle-ci est harmonieuse ou
violente, soumise à la brise ou à la tempête, parée de fleurs ou de suie
et dépend, quoiqu’il arrive, des turbulences naturelles et
élémentaires qui battent par saccades sous le vernis du corps ou de la
terre. Tout (de l’homme, des esprits, des cercles et rotations
magnétiques, invisibles, tracés au sol ou en l’air) est lié et relié par
des fils infimes et ténus, nous dit Monchoachi.
« Nous parlons de choses toutes proches
Si difficiles maintenant à imaginer
Tant le temps fou
Les ont profondément enfouies. »
Si difficiles maintenant à imaginer
Tant le temps fou
Les ont profondément enfouies. »
Ses poèmes, posés ou (plus fréquemment) rapides, très proches de
l’oralité, traversés par de fulgurantes variations rythmiques, bougent
et se servent tout à la fois du français et du créole pour affiner leur
sonorité et rendre très visuelles des scènes narratives.
« En ségret avons peint nos faces
Toutes nos faces avons peint en rouge en ségret
Le corps taqueté blanc
Autour du visage un cercle noir
Peint dessus les yeux jusqu’oreilles
Une bande blanc taqueté rouge
Toutes nos faces avons peint en rouge en ségret
Le corps taqueté blanc
Autour du visage un cercle noir
Peint dessus les yeux jusqu’oreilles
Une bande blanc taqueté rouge
Avons fait ça en ségret
puis avons la tête bouc peinte en rouge »
puis avons la tête bouc peinte en rouge »
Les thèmes qu’il développe et qui s’entrecroisent sont ceux de la
mort, du temps, de la terre, de la parole, de la vérité, de la liberté
et du mystère de la création. Il s’empare de ces questions en y
répondant dans des poèmes où se succèdent rituels, danses, contes,
offrandes, sacrifices, initiations et chants. La présence des enfants
(entre autres textes : L’enfant et le dieu tatoué, L’enfant à la mère rendue, La fillette et le magicien, L’enfant et la graine bleue, L’enfant fronté et la vieille femme) est prégnante mais n’occulte pas les étapes suivantes de la vie. Tous sens en éveil, Monchoachi
multiplie les tableaux vivants, très imagés, en pénétrant dans des
territoires secrets, habités par les choses et par les hommes, ceux
d’hier, d’aujourd’hui et de demain, embarqués dans un cycle infini,
dicté par les roulements permanents des astres en mouvement.
Monchoachi : Lémistè (1. Liber América), éditions Obsidiane.
Monchoachi : Lémistè (1. Liber América), éditions Obsidiane.
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